En 1985, dans une petite ville irlandaise, le silence des habitants protège les dérives d’une institution catholique. Un père de famille, tourmenté par ce qu’il voit et perçoit, se demande ce qu’il peut faire. Un très beau film sur le courage d’agir.
TU NE MENTIRAS POINT de Tim Mielants. Irlande, 2024, 1h36. Avec Cillian Murphy, Eileen Walsh, Emily Watson, Michelle Fairley, Clare Dunne. Berlinale 2024, compétition officielle. Festival de Locarno 2024, Piazza Grande.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
Le film se déroule en hiver, à la veille des fêtes de Noël, et tout y est bien sombre. Un village aux rues escarpées et mal éclairées, à l’ombre d’un couvent de religieuses où sont placées de très jeunes filles enceintes, appelé institution du Bon pasteur. Bill Furlong (Cillian Murphy) a une petite entreprise de charbon, il livre de gros sacs dès l’aube et jusque tard le soir. Comme tous les habitants, il sait que les jeunes filles sont maltraitées ; comme tous les autres, il craint pour son travail, sa famille, sa réputation s’il s’oppose à la puissance des sœurs.

Plus qu’un film dénonçant les mauvais traitements dans les institutions catholiques irlandaises, comme dans le célèbre Magdalene Sisters de Peter Mulan (2002), le film de Tim Mielants raconte le parcours d’un homme bon, attentif aux autres, ayant sans doute »la foi du charbonnier », qui se demande comment réagir face à la détresse d’une jeune fille trouvée dans un réduit, physiquement et émotionnellement meurtrie. Aurais-je à répondre de mes actes ? se demande Bill Furlong en lavant consciencieusement ses mains noires de charbon, le soir en rentrant chez lui. De quoi devrais-je répondre ? face à la détresse qu’il croise au quotidien dans cette Irlande encore très pauvre, face à ce qu’il pressent, face à l’éducation de ses 5 filles.
Comme lorsqu’il était enfant et qu’il lisait à voix haute un livre de Charles Dickens, Bill Furlong sait que le passé, le présent et l’avenir sont liés. Si le présent le tourmente autant, c’est en souvenir de sa mère et de ce qu’elle a du vivre à cause de lui ; et c’est en pensant à ses filles et à leur vie d’adulte qu’il trouvera le courage de venir en aide à cette autre Sarah. Dans une très émouvante dernière scène, le lavement des mains n’est pas celui d’un homme qui renonce mais au contraire celui d’un homme à la conscience désormais propre qui peut accueillir, en souriant enfin, une brebis perdue.
La mise en scène s’appuie sur l’interprétation de Cillian Murphy et sur une bande son très intelligente. Avec peu de dialogues, l’acteur montre à l’écran les interrogations d’un homme hanté par son passé et dont le souffle et le regard expriment des émotions quasi physiques face aux tourments qu’il ressent. La bande son, entre le bruit du charbon, le brouhaha chaleureux de la maison familiale, les gouttes de pluie glacée ou le tintement des tasses de thé en fine porcelaine de la mère supérieure, transportent le spectateur au cœur de cette petite ville irlandaise, où tout le monde se connaît, où tout le monde sait ce qui se passe dans l’institution mais où personne ne dit rien, de peur d’éventuelles représailles.

Autour de Cillian Murphy, tous les comédiens sont au service de leurs rôles, avec retenue et justesse. Emily Watson donne au personnage de la mère supérieure une autorité et une fourberie mielleuses, carrément cruelle au moment des étrennes de Noël. Les jeunes filles, celles du couvent comme celles de la maison, ont de petites apparitions à l’écran mais existent pourtant pleinement. Avec cette direction d’acteurs, le travail sur la lumière dans cet Avent interminable où on cherche la moindre lueur, avec un scénario rigoureux et sans voyeurisme (les sévices restent en hors champ), et une dernière scène stupéfiante, le réalisateur Tim Mielants réussit un grand film.
Tu ne mentiras point donne corps au chemin émotionnel et spirituel d’un homme ordinaire, à l’enchaînement de petites choses qui l’incitent à agir. Cela vaut pour l’Irlande des années 1980 mais aussi pour tous ceux qui, pour être en paix avec leur âme et leurs convictions, ont osé aller à l’encontre d’une majorité silencieuse.
Le scénario est tiré du livre de Claire Keegan, Small Things like These (2020), qui donne son titre anglais au film. Un des précédents ouvrages de cette romancière a été adapté au cinéma sous le titre A Quiet Girl (2022) par Colm Bairéad, récompensé par le prix SIGNIS Europe 2023 et faisait partie de la sélection pour le Prix Croire au cinéma 2024.
Magali Van Reeth