MédiasLes Chroniques CinémaCE NOUVEL AN QUI N’EST JAMAIS ARRIVE de Bogdan Mureșanu

CE NOUVEL AN QUI N’EST JAMAIS ARRIVE de Bogdan Mureșanu

Un film choral sur les derniers jours de la dictature de Ceaușescu qui, par l’importance du collectif pour vaincre l’oppression, fait penser à des pans entiers de l’histoire de l’Europe contemporaine.

CE NOUVEL AN QUI N’EST JAMAIS ARRIVE de Bogdan Mureșan. Roumanie, 2024, 2h18. Avec Iuulian Postelnicu, Mihai Calin, Noicoleta Hancu, Emilia Dobrin, Andrei Miercure. Festival de Venise 2024, Grand prix de la sélection Orrizonti.

Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France

Le nouvel an auquel il est fait référence est et restera à jamais inoubliable. C’est en effet le 21 décembre 1989, à quelques jours de Noël, que le monde a basculé à Bucarest. Le pays est, à cette période, dirigé depuis quinze ans d’une main de fer par le dictateur communiste Nicolae Ceausescu. Ces quelques jours, qui constituent une des révolutions les plus rapides de l’Histoire, ont été largement racontés dans le cinéma roumain : Comment j’ai fêté la fin du monde (2006) de Cătălin Mitulescu ou 12h08 à l’Est de Bucarest (2007) de Corneliu Porumboiu.

Ce titre du film fait aussi référence à une émission de télévision, qui, n’a jamais été diffusée, puisque Nicolae Ceaușescu et son épouse Elena sont, le jour de Noël 1989, jugés, condamnés et exécutés à l’issue d’une procédure expéditive semblable à celles que le régime utilisait contre les opposants et les dissidents. Il est aussi une critique amère de la classe politique qui a pris sa succession. En effet, ceux qui ont accédé au pouvoir après Nicolae Ceausescu provenaient du deuxième cercle de son entourage.

Quatre jours avant Noël 1989, les autorités préparent les festivités du Nouvel An comme si de rien n’était, ou presque, mais « le vernis officiel commence à craquer ». Dans l’effervescence de la contestation, six destins vont se croiser dans un climat de contestation et de répression au fil d’une journée pas comme les autres. Alors que le régime de Ceausescu vacille, les destins individuels se mêlent à l’histoire collective

En faisant évoluer sous une même temporalité six personnages distincts, aux occupations et horizons variés, le long métrage de Bogdan Mureşanu trouve une façon astucieuse de raconter un moment clef de l’histoire roumaine. Chacun des six personnages subit de plein fouet la politique, le fonctionnement du régime et l’usure économique. Parmi eux, un metteur en scène de la télévision nationale roumaine doit trouver une actrice pour tourner à nouveau un hommage à Ceausescu, diffusé pour la veillée du nouvel an, l’actrice principale ayant fui le pays. Florina, en pleines répétitions de théâtre, est alors contactée, pour un tournage le lendemain. Un étudiant activiste prévoit de fuir à l’Ouest avec des amis. Une dame âgée, mère d’un cadre du parti, va être expulsée d’un immeuble en cours de démolition. Les deux séquences les plus réussies sont celles avec Florina et l’ouvrier Gelu. Une phase introductive présente les six personnages et la construction doit beaucoup au Boléro de Ravel. L’histoire débute sur un tempo plutôt lent avant d’aller crescendo.

Le dictateur n’est pas incarné à l’écran, mais il apparaît à travers des photos officielles et des images d’archives. Ce film montre les rouages des régimes communistes : écoutes, surveillances, dénonciations, spoliations, aveux forcés, pénuries, baillonnage de l’expression individuelle. La structure du film permet de mettre en lumière les différentes réactions de citoyens ordinaires face à la disparition d’un monde. Elle révèle également leur humanité, alors qu’ils vivent dans un monde de peur, de paranoïa, de désespoir.

Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé  est une tragi-comédie savoureuse, drôle et grave et vient relater l’urgence politique dans laquelle se trouve à nouveau la Roumanie aujourd’hui.

Philippe Cabrol

Latest

More articles