MédiasLes Chroniques CinémaTHE ZONE OF INTEREST de Jonathan Glazer, Oscar 2024 meilleur film étranger.

THE ZONE OF INTEREST de Jonathan Glazer, Oscar 2024 meilleur film étranger.

Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

LA ZONE D’INTERET de Jonathan Glazer. Etats-Unis/Grande-Bretagne/Pologne, 2023, 1h45. Avec Sandra Hüller et Christian Freidel. Sélection officielle Festival de Cannes 2023, Grand prix. Oscar 2024 du meilleur film étranger.

Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France

Le paradis et l’enfer sont-ils voisins ? Il semblerait que ce fût le cas à Auschwitz. Tourné sur place et en langue allemande, le dernier film du réalisateur britannique Jonathan Glazer nous montre la vie « idyllique » – hors des murs du camp de concentration – de son commandant et de sa famille.

Le camp est omniprésent, pourtant on n’y pénètre jamais. On le devine par-delà le mur d’enceinte et les cimes des arbres, mais surtout, on l’entend. Les images bucoliques, à peine troublées par la fumée des trains qui arrivent en arrière-plan, ne concordent pas avec les sons des coups de feu et du travail forcé. Seule la cheminée incandescente des fours crématoires qui illumine le ciel nuit et jour marque une présence maléfique. 

Jonathan Glazer choisit consciemment de rester de ce côté du mur pour mieux souligner le contraste effrayant entre l’horreur absolue et l’insouciante banalité d’un quotidien presqu’irréel. La caméra est comme intrusive tant elle filme la petite famille en l’observant de près. Les images colorées, souvent en plans larges, ne font que renforcer l’omniprésence d’un hors-champ angoissant. Le réalisateur prend le parti de ne pas se confronter au mal par des images crues mais de l’exprimer par des moyens détournés qui n’enlèvent en rien la sensation d’oppression.

Les personnages sont au centre de la narration. Rudolph Höss est présenté comme un bon père de famille et un fonctionnaire du Reich zélé. Son détachement de tout, sauf de sa « tâche » et de sa famille, lui confère un caractère mécanique de technicien froid de la solution finale. Il est complètement déshumanisé, même envers ses semblables. Seuls les fleurs et les animaux trouvent grâce à ses yeux. C’est un père attentionné certes mais ses jeunes enfants sont déjà embrigadés et prêts à marcher dans ses pas.

À ses côtés, sa femme Hedwig jouit de ses privilèges et ne fait aucun cas de ce qui se passe derrière les palissades de sa jolie villa bien fleurie. C’est une épouse consentante et une femme indifférente à l’omniprésence du four luisant qui domine ses murailles. Cette différence en humanité s’exprime avec la pire des froideurs lorsqu’elle distribue les vêtements des Juifs assassinés, gardant pour elle parfums de luxe, bijoux et manteaux de fourrure. Même sa mère, qui elle, ne supporte pas la situation, subit son rejet. Symboliquement, la lettre d’explication qu’elle laisse à sa fille, suite à son départ fortuit, finit dans les flammes du poêle de la cuisine.

La mère d’Hedwig n’est pas la seule marque d’humanité qui persiste dans cet univers en totale absence de nuances. Une jeune fille du village sème des pommes dans les champs où elle sait que les prisonniers vont passer. Le film ne manque pas d’affirmer que face à la banalité du mal, tous les gens ordinaires ne deviennent pas des bourreaux.

Les acteurs sont excellents de vérité dans des rôles difficiles. Christian Friedel offre un jeu minimaliste pour camper Rudolph Höss, ce qui renforce la désincarnation du personnage, qui apparaît plus souvent en civil qu’en uniforme nazi. Quant à Hedwig, elle est incarnée par Sandra Hüller. L’actrice allemande est déconcertante de réalisme dans son interprétation de cette femme forte au caractère affirmé.

La mise en scène oscille entre du très classique et des passages plus expérimentaux. Les écrans noirs ou rouges de transition et la musique plombante plongent le spectateur dans une gêne glaçante.

La Zone d’intérêt est le quatrième long-métrage de Jonathan Glazer. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Martin Amis. Cette zone d’intérêt a véritablement existé dans les 40 kilomètres carrés autour du camp d’Auschwitz. En compétition officielle au Festival de Cannes, le film a obtenu le Grand Prix du jury ainsi que le Prix FIPRESCI de la critique internationale.

La fin du film, qui nous ramène vers le présent et la conscience de Rudolph Höss, est plutôt intrigante. Il vomit au moment même où des femmes de ménage nettoient peu avant l’ouverture des chambres à gaz aux visites du public. Est-il inconsciemment malade à l’idée de ce qu’il a fait ? Ou bien est-ce l’acteur allemand qui réagit à ce que son personnage a perpétré dans ce lieu ? Hier et aujourd’hui se mélangent dans un retour à la réalité brute. À la question de la banalisation du mal, il n’y a pas de réponse.

Anne Le Cor

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