Le film s’ouvre dans une classe de l’université de médecine au Brésil où, devant des ossements présentés comme étant ceux de Josef Mengele, tristement célèbre sous le nom de « boucher d’Auschwitz » ou encore « l’ange de la mort », les étudiants ignorent qui est ce personnage, illustrant ainsi l’oubli dans le temps et la banalisation du mal.
LA DISPARITION DE JOSEF MENGELE de Kirill Serebrenikov. Allemagne/France, 2025, 2h16. Avec August Diehl, Dana Herfurth, Mirco Kreibich.
Critique de Diane Falque, SIGNIS France
Josef Mengele : un des plus grands criminels de guerre, médecin généticien d’Auschwitz, a fui en Amérique du Sud, Argentine, Paraguay et Brésil. Il est mort de sa belle mort à Sao Paulo. Il n’a jamais été arrêté ni jugé. Le réalisateur russe Kirill Serebrenikov a choisi d’adapter le roman éponyme d’Olivier Guez – prix Renaudot 2017 – dans une réalisation à la fois fidèle et personnelle.

Le sujet est glaçant : il s’agit de suivre un des plus grands criminels nazis Josef Mengele, recherché pour crime de guerre, durant sa fuite en Amérique du Sud dans les 30 dernières années de sa vie. On ne quitte jamais Mengele des yeux, omniprésent à l’écran.
L’originalité dans la démarche du réalisateur est d’avoir mis de côté l’intrigue d’espionnage, la traque, pour se concentrer sur l’autre dimension : l’idée de la disparition. Josef Mengele n’a pas seulement disparu aux yeux de la société, il s’autodévore au fur et à mesure. On voit son malaise croître, on le voit plonger dans sa paranoïa, dans sa folie.
Kirill Serebrenikov s’intéresse à l’homme Mengele, à son psyché. Le film est découpé en trois chapitres qui s’intitulent chacun par un prénom. Grégor, Peter, Pedro : à force de changer d’identité, il disparaît avant même de mourir. C’est un homme qui nous apparaît brisé, humilié. « Ces grands criminels il faut les traiter comme des hommes. Si on les met dans la catégorie « monstre », on ne les comprendra jamais » nous partage le réalisateur. Ce qui nous rappelle ce qu’Hannah Arendt avait nommé « la banalité du mal », c’est-à-dire la capacité d’un homme ordinaire à commettre des crimes abominables . En se mettant dans sa tête, dans ses pas, cela permet d’approcher le mal au plus près, de comprendre qui étaient ces hommes.
Il ne cherche pas à expliquer, il les dissèque. Ils étaient originaires de la bourgeoisie allemande cultivée conservatrice, et quelques mois plus tard, ils envoyaient 400 000 personnes en chambre à gaz en sifflotant. Ce qui nous frappe le plus chez ce personnage, c’est son obstination à se considérer comme victime, sa radicalisation, entrant dans des colères monstres – notons au passage l’excellente interprétation de August Diehl. Il est étonnant de voir comment avec ceux de son entourage qui le soutiennent, ils continuent ensemble à parler du IIIème Reich ! Même avec son propre fils Rolf, venu lui demander des comptes, les disputes et les confrontations ne lui permettront pas de modifier son regard. Nous pourrions presque reprocher au réalisateur sa complaisance !

L’œuvre est également originale dans son format : avec une succession de flash backs, où les époques et les lieux du Brésil au Paraguay finissent par nous embrouiller, où les plans séquences anxiogènes accentuent le suspense de la fuite et de l’invisibilité. Pour cela il a privilégié le noir et blanc, qui accentue la beauté des images et donne un clin d’œil au format polard. La seule exception : les moments filmés en couleurs sont les passages au camp d’Auschwitz. Ce sont les meilleurs moments de la vie de Mengele. On le voit jeune, rayonnant et décontracté, il participe à l’arrivée des convois, avec ce sentiment de toute puissance, sur le quai, avec cette intuition de faire avancer la recherche, de travailler pour le Reich, de percer le secret de la gémellité. Pour évoquer la banalité du mal, le réalisateur choisit de mêler de manière extrêmement dérangeante les scènes trashs d’opérations chirurgicales, elles-mêmes filmées par un collègue SS !
Lorsqu’il a décidé de réaliser son film, Kirill Serebrenikov restait très perturbé par le fait que cet homme criminel n’avait jamais été arrêt ni jugé, contrairement à Adolf Eichmann. En tant que réalisateur russe vivant à Berlin, il ne peut s’empêcher de penser aux conflits actuels, notamment la guerre avec l’Ukraine. A travers ce film, une question nous est posée : Que deviendront les criminels de guerre d’aujourd’hui ?
Ce film invite également à la réflexion sur la nature du mal et la capacité ou non à se repentir. Il nous confronte, en tant que chrétien, à la tension entre le besoin de justice individuelle et collective devant les crimes contre l’humanité et la possible miséricorde.
Diane Falque

