Qui fut Franz Kafka ? Entre allégorie, enquête et mise en abîme, Agniezska Holland signe un biopic poétique sur la vie de l’écrivain pragois, faisant résonner son œuvre avec sa vie intime.
Franz K. d’Agniezska Holland. 2025, 2h 07min, Tchéquie/Irlande. Avec Idan Weiss, Peter Kurth, Carol Schuler.
Critique de Catherine Lalanne, SIGNIS France
Il y a d’abord le parti pris esthétique, le souci minutieux de la réalisatrice de reconstituer les décors, les costumes, l’époque tout en plongeant d’emblée le spectateur dans un univers fantastique et romanesque.
Puis les témoignages, face caméra, des proches de Franz Kafka – son éditeur Max Brod, sa sœur Ottla, son oncle Siegfried, son amie Milena… chacun tentant d’éclairer un pan de la personnalité complexe de l’homme et de l’écrivain.

Un va et vient permanent enfin entre passé et présent qui désoriente le spectateur, lui fait toucher du doigt le non-sens des situations, l’absurdité d’une existence que le romancier n’a cessé d’explorer dans son œuvre : Franz enfant mis à la porte en pleine nuit par son ogre de père pour lui permettre de s’ébattre avec sa mère, Kafka statufié un siècle plus tard à Prague et photographié par des hordes de touristes japonais, jeune homme amoureux tourmenté incapable de concrétiser une relation sentimentale, adolescent fermant les portes du salon familial pour s’abstraire des rugissements paternels et écrire, adulte confronté à la bureaucratie impersonnelle et inhumaine de la société d’assurance qui l’emploie … Le spectateur se perd dans un labyrinthe de scènes, d’allers-retours incessants, gagné par l’atmosphère oppressante qui semble étouffer le protagoniste.
Après Green Border documentant la crise migratoire de 2021 à la frontière biélorusse et L’Ombre de Staline dénonçant la famine ukrainienne organisée par le chef de l’Union soviétique en1932, Agnieszka Holland signe un film intimiste, onirique et subtil, prenant le parti d’un artiste écartelé entre son aspiration à écrire et son incapacité à vivre. Filmant au plus près cet être brillant, brimé par un père dominant, fragilisé par la tuberculose, victime d’un antisémitisme montant, la réalisatrice franco-polonaise semble chercher désespérément avec Franz K l’air pour respirer, la place pour exprimer sa sensibilité littéraire, le courage d’aimer et d’exister. Gagné par son empathie, le spectateur sort de la salle obscure, désireux de relire Le Procès, La Métamorphose et d’éclairer les liens entre la vie et l’œuvre d’un des auteurs majeurs du 20ème siècle.
Catherine Lalanne

