Conte généreux et hilarant, dont le titre fait référence au pommier de la Genèse, le film prouve une nouvelle fois la liberté d’esprit, l’audace narrative et l’invention artistique d’Eugène Green. Ce film est une proposition de cinéma rare et d’autant plus précieuse qu’elle n’exclut jamais l’humour. Avec son nouveau métrage le réalisateur poursuit son œuvre inclassable.
L’ARBRE DE LA CONNAISSANCE / À Àrvore do Conhecimento d’Eugène Green. France, 2025,1h40. Avec Rui Pedro Silva, Diogo Dória, Ana Moreira, João Arrais.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
L’idée du film s’est imposée à Eugène Green au cours du tournage à Lisbonne du court-métrage Comment Fernando Pessoa sauva le Portugal (2017). Dérangé par le tourisme de masse et ses incidences sur la ville, il a ainsi imaginé l’histoire de L’Arbre de la connaissance en convoquant le conte, la fable picaresque et le roman d’apprentissage.

Gaspar est un adolescent qui mène une existence morose dans la périphérie de Lisbonne. Il va vers le centre-ville historique et son destin bascule quand il est enlevé par le mystérieux homme à tout faire d’un étrange marquis, ogre de son état. Celui-ci, grâce à un pacte avec le diable, a acquis le pouvoir magique de transformer les touristes en animaux, immédiatement tués et consommés par lui-même et son homme de main. L’ogre veut utiliser Gaspar comme appât pour attirer de jeunes victimes. Gaspar s’échappe, mais pas tout seul.
Cette trame narrative sert de point de départ à une quête initiatique où Gaspar va affronter les visages multiples du mal. Cependant la morale de cette fable place l’Amour comme moteur essentiel. Le début du film nous montre des foules de pieds qui arpentent les rues, puis des commerces mondialisés. Le cinéaste nous fait découvrir, ce qui est pour lui, la Lisbonne défigurée par le sur-tourisme, l’embourgeoisement, l’abondance de locations touristiques, ainsi que des boutiques inutiles qui vont inspirer la fantaisie drolatique du cinéaste.
Le cinéma d’Eugène Green ouvre l’esprit au mystère du monde. Il est une approche spiritualiste qui pose autrement le rapport du cinéma au réel. Avec ce film, il nous nourrit de dialogues sur la nature, l’économie, la notion de République, l’histoire, l’amour, la mort et Dieu.

L’Arbre de la connaissance est un conte captivant où êtres humains et animaux interagissent à la manière des fables de La Fontaine, mais avec une touche fantastique. Mais surtout, s’il est une satire des temps modernes, à l’inverse de la quasi totalité des autres films, il chemine du cynisme à l’humanisme.
Si le film semble déroutant par son apparente simplicité et son refus du réalisme conventionnel, le merveilleux côtoie la satire la plus mordante. Face au déferlement d’images standardisées et violentes, le cinéma d’Eugène Green n’est-il est pas un acte de foi, un défi par lequel l’art peut réenchanter le monde par la parole et la beauté ?
Philippe Cabrol

