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THE RETURN d’Uberto Pasolini

L’épopée d’Ulysse touche à sa fin lorsqu’il échoue sur une plage de l’île d’Ithaque, vingt ans après son départ pour la guerre de Troie. Entre réalisme et déconstruction, le film revisite le mythe du héros grec. Pour Ulysse, il est question de disparition, d’apparition et de résurrection.

THE RETURN/LE RETOUR D’ULYSSE. Italie/Grèce/Grande-Bretagne/France, 2024,1h56. Avec Ralph Fiennes, Juliette Binoche, Charlie Plummer, Marwan Kenzari

Le Retour d’Ulysse se concentre sur les derniers chants du récit d’Homère. Le royaume d’Ithaque est en lambeaux, en manque de son roi et de ses compagnons partis faire une guerre lointaine et terminée depuis longtemps. Recluse dans son château, la reine Pénélope est une femme pressée par ses prétendants de se remarier. Son fils Télémaque ne trouve pas sa place dans ce cloaque et son existence est sans cesse en danger.

Ralph Fiennes exhibe les muscles saillants de son corps d’homme de soixante ans, affûté pour le rôle d’Ulysse. Son jeu est très juste lorsqu’il incarne le héros qui revient, inconnu et seul au monde car ses compagnons sont morts. Il est attendu de tous mais nul ne le reconnaît. C’est un homme abîmé par la guerre et l’exil qui trouve la force de reprendre son destin en main et se bat pour retrouver ce qui lui appartient. Il casse lui-même le mythe qui lui colle à la peau. À ceux qui attendent un récit héroïque de la guerre de Troie, il raconte un massacre abominable. Et quand un homme lui demande si Ulysse était grand, il ne répond pas.

L’acteur britannique a face à lui Juliette Binoche dans le rôle de Pénélope. C’est la première fois que les deux comédiens apparaissent dans le même projet depuis Le Patient anglais en 1996. L’actrice française offre une belle prestation, tout en intériorité et sensibilité. Imperturbable, Pénélope file un tissu de mensonges. À la fois ardente et retenue, elle cache son émotion au moment où elle reconnaît son mari.

Le jeune acteur américain, Charlie Plummer, dans le rôle de Télémaque, le fils rebelle mais empêché, complète un casting très international, à l’image de la production du film. Le réalisateur, Uberto Pasolini, est Italien mais basé au Royaume-Uni. Il propose une version du mythe d’Ulysse dépouillée de toute mythologie, dans laquelle les dieux sont absents.

The Return, le Retour d’Ulysse est avant tout une histoire d’Hommes abordée sous un angle réaliste. Les plans souvent rapprochés sur les acteurs et le rythme lent renforcent l’idée d’intimité et d’attente. Les couleurs chaudes, le décor austère et théâtral ainsi que la lumière tamisée accentuent l’ambiance sobre et sans excès qui accompagne une histoire qui monte en puissance jusqu’à l’affrontement final.

La scène où Ulysse retrouve l’utilisation de son arc, sur fond de rivalité avec les prétendants, est grandiose. Père et fils sont enfin côte à côte. Télémaque devient enfin courageux en imitant son père et il apprend que pour régner, il faut être sans pitié. La fin du film est symbole d’espérance. L’ordre est restauré : le fils retrouve son père et part vivre sa vie ; le couple reprend sa vie là où l’épopée l’avait laissé. Tirant un trait sur le passé qui les a séparés, Ulysse et Pénélope renouvellent leurs vœux en toute simplicité et se promettent oubli et pardon.

The Return, le Retour d’Ulysse a un côté envoûtant, tant par la sobriété de l’interprétation que par la démesure des scènes de violence. Le cadre dépouillé sublime la puissance de la Méditerranée. Les paysages dépeignent une Grèce antique à la fois sauvage et hospitalière. Le charme intemporel de la légende européenne est respecté malgré la distanciation.

Ulysse et Pénélope ont en commun d’utiliser la ruse (celle du cheval de Troie pour l’un et celle du défi de l’arc pour l’autre) dans les situations désespérées et d’ainsi retourner le destin. Quand tout est fini, la caméra se retire à bas bruit, laissant au spectateur l’imagination des secrets de l’alcôve et de la suite de l’histoire. Il n’y a plus rien à montrer car, comme le disait l’écrivain russe Léon Tolstoï, grand auteur d’épopées humaines s’il en est, « les gens heureux n’ont pas d’histoire ».

Anne Le Cor

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