A la demande, Matthias devient empathique, amoureux, en colère, ému, le temps d’un repas, d’une réunion, d’un après-midi ou d’une soirée. Il exerce un travail discret avec prestation soignée. Cette comédie grinçante, ironique, oscille entre humour noir et tragédie.
PEACOCK de Bernhard Wenger, Allemagne/Autriche, 2024, 1h42. Avec Albrecht Schuch, Julia Franz Richter, Branko Samarovski. Festival de Venise 2024, sélection Semaine de la critique. Prix oecuménique Festival de Cluj 2025.
Philippe Cabrol, SIGNIS France
Ce long métrage est une comédie tragique aussi drôle qu’absurde, qui explore un phénomène fascinant et méconnu tout droit venu du Japon : la location de personnes pour jouer des rôles sociaux, familiaux ou professionnels. Bâti sur la base de cette idée étonnante, le réalisateur autrichien Bernhard Wenger nous fait réfléchir sur la sincérité des relations humaines.

Quel drôle de métier ? L’agence MyCompanion fournit des amis à louer. Matthias, trentenaire au physique avenant, est un des meilleurs éléments de cette entreprise. Il est convainquant dans tous les rôles qu’il incarne. Il se fait louer par des gens pour interpréter la personne de leur choix : l’ami cultivé dans une soirée musicale, l’ami héroïque sur un terrain de golf, un fils modèle d’un homme souhaitant être élu président d’une organisation, un père aviateur pour un gamin souhaitant enjoliver son exposé en classe, un mari d’une femme qui n’ose encore parler à son véritable mari et souhaite répéter ce qu’elle va lui dire. Ses prestations sont appréciées à leur juste valeur. Il y met du sien, du cœur.
Matthias inspire la sympathie.Tenues classiques, cheveux peignés en arrière et moustache bien brossée. Matthias incarne bien le titre du film qui veut dire paon, un animal-totem qui ne semble exister que pour briller aux yeux des autres.
Si il est protagoniste dans sa vie professionnelle, il ne l’est pas dans sa vie conjugale et personnelle. En privé, il ne fait pas l’effet d’avoir beaucoup de personnalité. Même dans l’intimité de son couple, il s’efface derrière l’image de lui-même qu’il élabore pour les autres. Il ne sait plus qui il est. Plus rien n’a de sens, et la paranoïa s’installe. Si ce film démarre dans la drôlerie, avec du comique de situation, il va montrer une tonalité plus tragique, quand le travail de Matthias finit par gagner tout son être, modifiant dangereusement son rapport au monde et à la réalité.
Peacock prend pour sujet l’uniformisation du soi, certes, mais c’est dans sa mise en scène de la déshumanisation que le film trouve sa véritable originalité. Bernhard Wenger analyse la solitude et l’isolement, la marchandisation des rapports humains, ou encore la cannibalisation de nos vies par les réseaux sociaux. Le film sonde plus largement la sincérité des rapports humains. Dans quelle mesure joue-t-on un rôle, offrons-nous à ceux qui nous entourent la version la plus sincère de nous-mêmes ? Mathias parviendra-t-il à tomber le masque pour faire exister sa vérité ? C’est ce que ce film intrigant nous invite à découvrir dans une mise en scène extrêmement soignée, avec des cadrages parfaitement symétriques. La musique s’unit aux images pour créer un rythme envoûtant d’un lyrisme presque palpable, affinée jusqu’à l’absurde, sur la vie contemporaine.
Philippe Cabrol
Au Festival international de Transylvanie de Cluj-Napoca TIFF 2025, le Prix œcuménique a été décerné à PEACOCK de Bernhard Wenger (Allemagne/Autriche, 2024)
Avec la mention suivante : Nous avons choisi ce film car il reflète le quotidien dans lequel nous pouvons nous sentir prisonniers, tout en offrant une échappatoire aux faux-semblants et à l’égocentrisme. C’est un film spirituel, intelligent et bien interprété, riche en nuances, qui nous invite à redécouvrir notre véritable identité et à embrasser la vérité plutôt que le mensonge, offrant ainsi de l’espérance.
Les membres du jury 2025 : Anca Berlogea-Boariu (Roumanie), Nicolae Cara (Romanie), Piero Loredan (Italie), Praxedis Bouwman (Pays-Bas)