La réalisatrice norvégienne choisit, pour son premier long-métrage, de dresser le portrait psychologique d’une femme dans la quarantaine, capable de chercher sa part d’ombre et de regarder sa peine pour la transformer.
LOVABLE de Lilja Ingolfsdottir. Norvège, 2024, 1h43. Avec Helga Guren, Oddgeir Thune, Elisabeth Sand. Prix œcuménique au Festival de Karlovy Vary 2024 et au CineFest Festival international de Miskolc 2024.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Après un premier mariage, Maria semble trouver l’homme idéal en la personne de Sigmund. C’est une passion fusionnelle. Maria est enceinte. Sept ans plus tard, elle jongle entre ses quatre enfants et une carrière exigeante. Elle connaît une surcharge psychologique pendant que Sigmund privilégie son travail et multiplie ses absences professionnelles. Un jour qu’il revient après six semaines d’absence, Maria craque et se plaint de sa charge mentale.

La scène d’ouverture nous présente l’image idéalisée d’un couple au début de son histoire d’amour. Mais bientôt la personnalité de chacun se révèle. La belle harmonie vole en éclats. À qui la faute ? Comment trouver une personne “aimable” sur la durée, quelqu’un qui vous permette de vous épanouir ? Visiblement, Maria n’y parvient pas.
Si la réalisatrice dépeint l’érosion accélérée d’un couple malmené par les frustrations, les promesses non tenues et le poids du quotidien, elle dénonce aussi l’ inégalité persistante entre les hommes et les femmes, femmes encore et toujours seules responsables de l’organisation familiale. Pourtant la Norvège est en pointe sur la question de l’égalité femmes-hommes au travail. Mais on devine que la charge mentale constitue une thématique centrale dans le travail de la cinéaste.
Sont aussi analysées les difficultés de communication entre les membres de la famille, notamment pour Maria dans sa relation avec sa fille aînée et sa mère. La relation de Maria avec sa mère révèle des schémas intergénérationnels de comportement et d’incommunicabilité. En se confrontant à ces modèles, Maria cherche à façonner son identité propre, libérée des attentes familiales et sociétales. Sa prise de conscience lui permettra d’éviter de reproduire le même schéma avec sa propre fille, acceptant finalement ses reproches et sa rancœur et, ainsi, sa propre imperfection.
Lilja Ingolfsdottir adopte une approche réaliste et nuancée tant au niveau de la narration, savamment construite, de l’utilisation de la musique, de l’interprétation de l’actrice principale, et de cette exploration des relations humaines et de la quête de soi.
Si Loveable peut se traduire par aimable, le titre en norvégien Elskling se traduit par amour. C’est bien Maria qu’on accompagne dans le film, il devient vite évident qu’elle n’est peut-être pas une femme incontestablement « aimable » comme le suggère le titre du film.

Notons que les deux personnages principaux Maria et Sigmund ont des prénoms qui ont un «écho symbolique», l’un celui de la mère et l’autre celui du célèbre psychanalyste, le père de l’étude de l’inconscient. Cette opposition n’a rien d’anodin. Maria porte en elle le poids de la transmission, du soin, du sacrifice. Sigmund, lui, convoque l’analyse, le refoulement, la rupture froide. En choisissant ces prénoms, volontairement ou non, le film tisse un inconscient collectif et fait penser à une lecture psychanalytique. Au-delà de la situation de Maria, ce film propose une exploration psychologique à travers le prisme d’une famille au bord de l’éclatement. Ce cadre permet de mettre en lumière à la fois les causes et les conséquences d’une telle crise. Plus que l’histoire d’un couple, c’est celle d’une famille. Loveable est un film touchant sur l’amour, sur la peur de l’abandon et aussi le désir de se reconstruire
Philippe Cabrol
Loveable a reçu deux prix œcuméniques en 2024 : au Festival international du film de Karlovy Vary (Tchéquie) et au CineFest international de Miskolc (Hongrie).
Le commentaire des membres du jury œcuménique de Miskolc : «Ce drame familial commence comme un enchantement, mais quelques années plus tard, la famille se fissure peu à peu et la mère, Maria, par qui arrivent les problèmes, ne comprend pas pourquoi. Elle se heurte à son mari, ses enfants et sa mère. Tout le monde est coupable.
Nous la suivons dans un chemin douloureux depuis sa culpabilité et ses peurs jusqu’à sa tentative de connaissance de soi et la réalisation de schémas inconscients en elle-même. C’est après un long cheminement personnel et l’aide d’un psychologue que la résilience arrive et qu’elle découvre la possibilité de la foi, de l’espérance et de l’amour dans sa vie. Elskling aborde également les thèmes de l’égalité et de la féminité. La narration fragmentée du film est en parfaite harmonie avec ses thèmes. L’utilisation ludique du montage et la narration non linéaire en font non seulement une étude humaine approfondie, mais aussi une pièce remarquable du cinéma contemporain».
Les membres du jury œcuménique de Miskolc 2024 : Pál Gerlai, Hongrie, Jacqueline Barbaccia, France, Philippe Cabrol, France et Balázs Szövényi-Lux, Hongrie.
Les membres du jury oecuménique de Karlovy Vary 2024 : Barbora Cihelková (Tchéquie),
Guido Convents (Belgique), Viktor Kókai-Nagy (Hongrie).