Trois films pour évoquer l’amour, le désir et la complexité de nos sentiments à l’époque actuelle, dans une mise en scène brillante qui interroge notre soif d’affection.
REVES de Dag Johan Haugerud. Norvège, 2024, 1h50. Avec Ella Øverbye, Selome Emnetu, Ane Dahl Torp, Anne Marit Jacobsen. Ours d’or Berlinale 2025.
Critiques de Magali Van Reeth, SIGNIS France
L’entrée dans le film se fait par la voix de Johanne, elle se confie à nous comme une adolescente se confie dans son journal intime. Elle a 16 ans et se pose beaucoup de questions sur le vide ressenti et les émotions qui la traversent. Elle aime lire et elle est séduit par certaines situations romanesques. Au lycée, une nouvelle professeur arrive dans sa classe. Une très belle femme, charmante, vive, toujours bien habillée. Johanne se sent irrésistiblement attirée vers elle, sans bien comprendre pourquoi.

Le réalisateur Dag Johan Haugerud est aussi un écrivain à succès en Norvège et le récit raconté par Johanne a une subtilité remarquable. Chaque phrase de l’adolescente peut être interprétée différemment par chaque lecteur/spectateur, en fonction de ses propres expériences, de sa maturité affective. Ainsi, la mère et la grand-mère de Johanne ne comprennent pas la même chose lorsqu’elles lisent ses mots. A la question : que s’est-il vraiment passé entre la professeur et son élève, la professeur pourra aussi répondre autrement.
La mise en scène reflète parfaitement cette subtile ambiguïté des événements vécus par Johanne et de la façon dont elle retranscrit les sentiments éprouvés. Rêves est l’histoire d’un éveil à l’amour et de la douleur d’un premier chagrin d’amour, déflagration pour l’adolescente, banalité pour le psy, boîte à souvenirs pour la mère, regrets pour la grand-mère.
Parfois le film explore le thème de la différence de perception et de ressenti par des chemins de traverse, notamment avec une discussion très drôle autour du film Flashdance d’Arian Lyne (1983) où deux femmes, de générations différentes, ne l’ont pas perçu de la même façon.
Le film est parsemé de discrètes références religieuses. Notamment l’échelle de Jacob qui, dans la tradition chrétienne, relie le monde des humains à celui de Dieu et qui donne au réalisateur l’occasion d’une scène spectaculaire où la grand-mère se fraye un chemin parmi les anges : Comment exister encore lorsque plus personne ne nous désire ?
En faisant le récit de cette première »tombée en amour », le réalisateur pointe notre soif d’affection et la complexité des sentiments. On aimerait tous être aimé comme on aime…
AMOUR de Dag Johan Haugerud. Norvège, 2024, 1h59. Avec Andrea Hovig, Tayo Cittadella, Thomas Gullestad, Lars Holm. Biennale de Venise 2024.
Marianne est médecin dans un hôpital d’Oslo. Célibataire et décidée à ne pas fonder une famille, elle est intriguée par les rencontres éphémères et fréquentes de Tor, un infirmier homosexuel qui travaille avec elle.

Dans cet épisode de la trilogie, le réalisateur montre l’importance de la chair et du corps dans les relations humaines. Tor est touché par la peau de ses amants, leur sueur. Marianne, urologue et spécialiste de la région pelvienne, connaît la complexité de cette partie du corps où se situent à la fois les déjections humaines mais aussi le sexe et les zones du plaisir physique. Ole, géologue, aime se coucher sur la roche pour en écouter le son et sentir la rugosité sur sa peau.
A travers ces trois personnages et leur entourage, se dessine une nouvelle carte du tendre contemporain. Les rencontres se font via des applications, toujours plus performantes dans la localisation de l’autre, la culpabilité n’empêche pas les écarts conjugaux, les mariages peuvent se dissoudre plusieurs fois, malgré les promesses et les enfants de divorcés souffrent toujours de l’échec de la famille.
Enfin Oslo, où gravitent les personnages du film, dans un incessant va et vient entre les îles et la ville, est montrée dans toute sa splendeur, de nuit comme de jour, un chaudron géologique depuis longtemps éteint, ce qui n’est pas le cas de ceux qui y vivent. En son centre, un superbe hôtel de ville que Heidi, l’amie de Marianne, fait visiter à un petit groupe, en interprétant de façon très partisane et très actuelle, les statues datant du siècle dernier. Pourtant si Heidi semble si ouverte aux questions de genre et de couple, elle est désarçonnée par la liberté revendiquée par Marianne.
Si ce deuxième chapitre n’a pas la flamboyance de Rêves dans sa mise en scène, il entre plus profondément dans la complexité des nouvelles relations sentimentales, sexuelles, conjugales ou familiales. Sans provocation, Dag Johan Haugerud a beaucoup de tendresse pour tous ses personnages et garde un ton optimiste et plein d’espérance, comme lorsque Tor dit au malade réticent dont il s’occupe avec beaucoup de compassion : Il serait temps que tu apprennes à avoir confiance dans la nature humaine.
DESIR/SEX de Dag Johan Haugerud. Norvège, 2024, 1h58. Avec Jan Gunnar Røise, Thorbjørn Harr, Siri Forberg, Birgitte Larsen. Berlinale 2024, section Panorama, prix du jury œcuménique.
Pour cette troisième partie, le réalisateur Dag Johan Haugerud quitte le centre ville d’Oslo pour la périphérie, les nœuds d’autoroutes, les grands immeubles aux façades vitrées, les gymnases, une ville bruissante, une ville en chantier. Comme ses protagonistes, plus âgés que les personnages des deux films précédents, pères de famille. Ce sont deux ramoneurs, en uniforme. L’un a des rêves intriguant où David Bowie le regarde »comme s’il était une femme », l’autre, en racontant à sa femme le récit d’une expérience homosexuelle, voit son mariage et son quotidien vaciller.

Il est question de la façon dont les autres nous regardent, ou comme nous aimerions être regardé, avec désir, même après de longues années de vie conjugale. Le réalisateur creuse le sillon de la liberté face à l’amour. Comment concilier notre envie de liberté sans faire souffrir ceux qu’on aime ? Avec humour devant la naïveté de certaines répliques, ou lorsqu’un personnage dit qu’il est aujourd’hui »plus facile de s’avouer homosexuel que chrétien’‘.
Dans ce film encore, la mise en scène impressionne par la fluidité avec laquelle elle s’adapte au récit, à la fois respiration et mise en tension. Les acteurs, même dans de longs plans sans coupe et avec beaucoup de dialogues, sont toujours justes et laissent discrètement passer des émotions complexes. Et comme dans les deux parties précédentes, le réalisateur, en explorant les nouvelles relations sentimentales, montre la permanence de l’Amour.
Magali Van Reeth
A la Berlinale 2024, où le film était présenté dans la section Panorama, sous le titre Sex, il a reçu le prix œcuménique accompagné de la motivation suivante : »Sex est un film sur le sexe et le genre, bien qu’aucun sexe ne soit montré. Les réalisateurs démontrent que l’honnêteté et l’intimité sont vitales pour les relations humaines. Grâce à un rythme lent et à des conversations humoristiques, le film attire notre attention sur les nuances de nos constructions sociales en matière de genre et de sexe et, plus important encore, d’amour. L’un des protagonistes parle des gens qui rendent le monde plus petit et de ceux qui le rendent plus grand. Le film Sex le rend définitivement plus grand ».
Les membres du jury œcuménique 2024 : Francesca Šimuniová (Tchéquie, présidente du jury), Jacques Champeaux (France), S. Brent Rodriguez-Plate (Etats-Unis d’Amérique), Marta Romanova-Jekabsone (Lettonie), Karin Becker (Allemagne) , Anita Nemes (Hongrie)

