MédiasLes Chroniques CinémaEDDINGTON de Ari Aster

EDDINGTON de Ari Aster

Eddington, petite ville tranquille du Nouveau Mexique vit à l’heure du covid et des théories complotistes. C’est un condensé des Etats-Unis d’Amérique où s’expriment tous les maux du moment : les « antivax » s’opposent aux « antifa » et vice versa. Au cœur de l’action, il y a le shérif qui pense que sa communauté rurale est à l’abri de tout cela. La réalité le rattrape violemment et comme nous sommes aux Etats-Unis, c’est sanglant. 

EDDINGTON de Ari Aster. Etats-Unis d’Amérique, 2025, 2h27. Avec Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone, Austin Robert Butler. Sélection officielle Festival de Cannes 2025

Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France

Mai 2020, une confrontation entre le shérif et le maire d’Eddington met le feu aux poudres en montant les habitants les uns contre les autres. Entre progressistes et conservateurs, deux camps s’affrontent, mais la dispute va bien au-delà de ça et ce sont bien deux Amériques qui s’opposent. La politique nationale prend le pas sur la quiétude locale et le meurtre raciste de George Floyd enflamme la jeunesse blanche qui se révolte contre ses propres privilèges et rejoint le mouvement Black Lives Matter

Joaquin Phoenix, dans le rôle du shérif « antivax » qui perd le contrôle et est confronté à une réalité qui le dépasse, tient le film de bout en bout. Sa prestation époustouflante reflète la paranoïa d’une certaine Amérique qui s’enferme dans ses contre-vérités, quitte à se détruire elle-même en basculant dans l’ultra violence. Face à lui, Pedro Pascal campe un maire progressiste qui garde les pieds sur terre et se soucie d’écologie. Le côté irrationnel du shérif lui échappe et il ne voit pas venir son « pétage de plomb » après une humiliation publique.

Les personnages secondaires manquent un peu de substance parfois, que ce soit Louise, la femme du shérif, incarnée par Emma Stone, qui quitte son mari pour suivre un jeune gourou, campé par Austin Butler. Les dérives sectaires semblent être le pendant des théories du complot, en ce qu’elles attirent des êtres souvent fragiles psychologiquement. Ces personnages apportent cependant un côté pittoresque et décalé qui accentue la folie ambiante.

Le réalisateur, pourtant new-yorkais d’origine, connaît bien le Nouveau Mexique. Il a passé du temps à repérer les lieux adéquats et il expose la spécificité des pueblos, ces terres tribales indigènes qui fonctionnent de manière parallèle avec leur propre police et leurs propres lois. L’officier indien interprété par William Belleau apporte, par contraste, rationalité et vérité face à un monde occidental disjoncté. Les tensions sociales entre les différentes communautés – hispaniques, blanches, noires et amérindiennes – sont palpables et reflètent les réalités d’une société américaine fracturée dans laquelle le racisme reste profondément ancré. Même la ruralité n’offre pas de sanctuaire face à la décomposition généralisée.

Si les armes à feu sont omniprésentes, elles ont de la concurrence désormais avec les téléphones portables, outils de manipulation de la société. On les dégaine avec tout autant de dextérité que les cowboys autrefois maniaient les Colts. Ils sont les nouvelles armes de communication massive, vecteurs par lesquels passent les vérités et contre-vérités sur un même plan d’égalité et avec un manque total de recul sur les événements.

Eddington est un western moderne qui met face à face deux visions opposées de l’Amérique contemporaine. À travers son film, le réalisateur Ari Aster revisite le genre et dénonce frontalement toutes les psychoses des Etats-Unis de Trump, de l’origine du covid aux revendications des minorités, en passant par l’obsession des armes à feu. C’est un portrait au vitriol d’un pays en perdition, au bord du suicide collectif, mais qui se relève de tout et poursuit sa marche en avant.

Anne Le Cor

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