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Pauvres créatures : dans un univers baroque et fantastique, l’éveil à la vie d’une femme créée de toutes pièces par un chirurgien avide d’expériences, un joli monstre révélant la monstruosité des gens ordinaires.

(Un film de Yórgos Lánthimos. Irlande/Grande-Bretagne/Etats-Unis, 2023, 2h21. Avec Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe, Ramy Youssef. Lion d’or à la Mostra de Venise 2023)

17 janvier 2024 (Magali Van Reeth). Ames sensibles s’abstenir… ici, on va découper des cadavres et croiser des animaux, extraire le cerveau d’un enfant pour le greffer dans un corps adulte inanimé. Dans son laboratoire, le docteur Godwin Baxter (Godwin se traduisant par Dieu gagne) dissèque, recoud, transforme, construit des monstres. Sa dernière créature est une jolie jeune femme avec les capacités d’un nouveau né : elle doit apprendre à coordonner ses membres et structurer sa pensée à l’aide du langage et de la confrontation avec les autres. Il lui donne pour nom Bella Baxter et engage un assistant pour mesurer ses progrès.

Dans les précédents films de Yórgos Lánthimos, on découvrait des ambiances baroques où l’étrange provoquait parfois du malaise, où il y avait toujours une part de grotesque. Pour Pauvres créatures, il accentue ce côté baroque avec des décors stupéfiants : bâtiments aux formes étirées où rien n’est d’équerre, où les lignes courbes ont un aspect inquiétant, des ciels aux couleurs sanguinolentes, des cadres déséquilibrés comme si tout l’ensemble menaçait de s’écrouler. Quant aux costumes portés par l’actrice Emma Stone qui joue Bella Baxter, c’est un festival de trouvailles, de tissu scintillant, de formes étranges, et toujours des manches larges, compliquées et bouffantes qui renforcent le côté déséquilibré, fragile et gonflé du personnage.

Lâchée dans le monde extérieur, Bella Baxter provoque par sa méconnaisance des usages, son innocence infantile, sa sexualité sans tabou, son vocabulaire étrange. On peut être gêné par son attitude impudique, son appétit de jouissance sans entrave. A moins que ce ne soit par les réactions, bien réelles celles là, des hommes face à un tel phénomène. Désir de possession, peur du plaisir féminin et de la liberté d’une femme aventureuse, la plupart des hommes veulent la posséder, l’enfermer, la restreindre. Et c’est là que le réalisateur nous interroge sur la notion de  »monstres », de  »pauvres créatures ». Dans cet univers gothique et fantastique qui imprègne tout le film, qui sont les véritables monstres ?

Magali Van Reeth

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