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Un Silence : « Familles je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur. » Ainsi parlait André Gide faisant référence à son enfance. Pour son dixième long-métrage, le réalisateur belge Joachim Lafosse nous plonge dans le huis-clos d’une famille bourgeoise qui cache un lourd secret. Basé librement sur l’histoire de Victor Hissel, l’avocat des petites victimes du pédo-criminel Marc Dutroux, Un Silence retrace le long chemin vers la libération de la parole d’une femme murée depuis des années dans ses certitudes.

(Un film de Joachim Lafosse. Belgique/France/Luxembourg, 2023, 1h35. Avec Emmanuelle Devos, Daniel Auteuil)

10 janvier 2024 Anne Le Cor – Cette femme c’est Astrid, l’épouse du grand avocat François Schaar. Ce dernier défend la famille de deux fillettes victimes de pédo-criminalité. Le couple a deux enfants, Caroline qui a quitté le foyer et vient d’avoir un bébé, et Raphaël, un grand adolescent plus paumé qu’il n’y parait de prime abord. C’est cette nouvelle génération qui en se révoltant contre le silence de leur mère et en réclamant justice, va faire éclater la couche de vernis qui recouvre la saleté cachée du père.

Le point de vue est celui d’Astrid. C’est elle le pilier de la famille, qui apparait comme un lieu refermé sur lui-même et qui a sa propre logique. Elle est magistralement interprétée par Emmanuelle Devos. Avec subtilité et tout en retenue la comédienne a su capter le terrible dilemme qui ronge son personnage au fur et à mesure du développement des événements.

Face à elle, Daniel Auteuil joue impeccablement son mari, un grand avocat médiatique qui ne peut pas éviter la chute finale. Le couple formé par Astrid et François n’a plus de vie commune et les deux époux e parlent à peine. Il y a une distance physique et une froideur entre eux comme lorsqu’ils se croisent dans l’escalier sans un seul mot.

Astrid reporte son affection sur son fils Raphaël. C’est un enfant adopté qui est proche de sa mère. Sous ses airs nonchalants de grand adolescent la révolte couve. Elle finit par éclater au grand jour dans une trance d’où exhale l’ivresse de l’assassin. Matthieu Galoux est très crédible dans ce rôle de jeune adulte en mal de repères et en proie au silence malsain des adultes.

Le réalisateur, Joachim Lafosse, est adepte des atmosphères feutrées de la sphère privée où poignent les tensions refoulées. Le récit se déroule en un long flashback. Rien n’est montré, tout est suggéré dans une ambiance lourde et pesante. Les révélations sont soudaines et parcellaires si bien que l’on chemine au fur et à mesure des avancées de l’enquête. Si l’intrigue est un peu longue à se mettre en place, c’est pour mieux en dérouler le fil.

La mise-en-scène est particulièrement soignée avec des plans serrés et des cadres recherchés. Tout est cloisonné et se déroule entre des murs ou derrière une porte entrebâillée, ce qui donne une vision partielle de ce qu’il se passe vraiment. Les nombreux gros plans sur le visage d’Astrid insistent sur les émotions retenues. La première séquence la montre seule, face à elle-même, ses yeux se reflétant dans le miroir de sa voiture alors qu’elle se rend au commissariat de police.

L’environnement en arrière-plan est flouté et n’a pas d’importance par rapport aux personnages. Seule la grande maison familiale au fond d’un parc immense joue un rôle prépondérant. Son portail est grand ouvert et pourtant on ne peut pas y pénétrer. C’est l’antre du monstre et le lieu de la tentative de parricide, dévoilée quand la caméra franchit finalement la porte.

Au bout du bout de l’histoire, on ne comprend pas toujours tout mais on est soulagés d’une parole qui se libère enfin. Face aux non-dits étouffants, les enfants devenus grands réclament justice. Malgré un aspect parfois un peu répétitif, Un Silence construit du sens autour d’un cheminement et donne une voix à l’indicible.

Anne Le Cor

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