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QUITTER LA NUIT de Delphine Girard

Le premier quart d’heure du film est la reprise du thriller haletant, inspiré d’un fait divers aux Etats-Unis, Une Sœur qui a valu à Delphine Girard en 2020, l’Oscar du meilleur court métrage de fiction.

QUITTER LA NUIT de Delphone Girard. Belgique, 2024, 1h48. Avec Selma Alaoui (Aly) Guillaume Duhesme (Dary) Veerle Baetens (Anna).

Critique de Bernard Bourgey, SIGNIS France

En pleine nuit, une réceptionniste d’un centre d’urgences de la police, Anna, reçoit l’appel d’une femme, Aly, qui lui parle comme si elle s’adressait à sa sœur. Croyant d’abord à une erreur, Anna va se rendre compte que c’est bien à la police que la femme envoie un appel de détresse, depuis une voiture où elle est la passagère d’un conducteur très nerveux, Dary, dont elle a peur. Le spectateur est comme assis à l’arrière de la voiture et ressent l’angoisse de la passagère. La police va géolocaliser le véhicule et envoyer une patrouille qui va le stopper.

Le film de Delphine Girard est construit à partir des questions laissées en suspens par le court métrage. Que s’est-il passé ce soir-là ? Qu’est ce qui a justifié cet appel au secours d’Aly à la police ? Une agression ? Une séquestration ? Un viol ?

Le retour à la normalité est pour chacun des protagonistes une zone grise dans laquelle ce qui semble établi se révèle flou. Aly est en état de choc mais minimise les faits auprès de sa sœur, n’endosse pas le comportement de victime type que la justice attendrait, ne se présente pas à l’audience de jugement… C’est elle-même après quelques verres avec cet inconnu dans un pub, qui avait proposé à Dary une sortie à deux. Se voit-elle en victime coupable ? En même temps l’absence de preuves notamment de son côté (pourquoi prend-elle une douche sitôt rentrée, pourquoi refuse-t-elle un examen médical ?) ouvre la porte aux interprétations contradictoires.

Dary lui, confronté à ses propos agressifs enregistrés sur le téléphone d’Aly, reconnaît avoir bu mais affirme une relation sexuelle consentie. Homme dont un passé troublé a pu laisser des traces qui pourraient expliquer des rechutes et son besoin du soutien un peu trop inconditionnel de sa mère, mais qui n’est pas un homme mauvais. De ce viol, la réalisatrice nous laisse entrevoir qu’il en est à la fois acteur et victime. Il cherche alors à expier, lui dont le casier judiciaire est vierge, qui est un pompier courageux et un homme honnête, va passer du déni à la reconnaissance de sa responsabilité, allant jusqu’à demander un pardon qu’Aly n’est pas encore prête à accorder.

Delphine Girard ne tombe jamais dans le schéma de la victime à plaindre et de l’agresseur pervers à condamner. Elle fait surgir cette terrible nuit en flashbacks qui soulignent tout à la fois la difficulté pour chacun de sortir du déni et les cauchemars que ce déni engendre. Elle nous montre avec humanité des êtres sonnés, incapables de prendre en main la situation, les regards qui s’évitent, les phrases qui restent en suspens, des personnages qu’on voit souvent de dos comme si les doutes étaient inavouables et les secrets trop lourds à porter. Ils sont de plus en butte aux hommes de lois et à leurs interrogatoires sans considération pour leur détresse morale, mais tous deux sont en quête de résilience et même chez Dary, d’expiation et de rachat.

La réalisatrice, en basculant du thriller au drame psychologique au risque d’une inévitable rupture de ton narratif, préfère poser des questions aux enjeux forts, plutôt que d’apporter les réponses généralement toutes faites et attendues d’avance dans ce type de situations.

Curieusement, une place importante est donnée à Anna, la  »sœur » du titre du court métrage, la policière qui se montre émue comme si elle était elle-même concernée par cet appel de détresse pourtant certainement semblable à bien d’autres dans l’univers policier. Anna va se rapprocher d’Aly, l’aider à quitter la nuit. C’est sur une scène de sororité entre Aly et sa sœur, Anna et sa fille, que Delphine Girard referme son film sur un moment harmonieux auquel les hommes sont pour l’heure exclus.

Bernard Bourgey

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