Humoriste, comédien et réalisateur, Thomas Ngijol ne s’était jusqu’alors illustré que dans le registre de la comédie. Avec ce policier, il fait le portrait captivant d’une Afrique décomposée, à la suite d’un commissaire tourmenté et père de famille en proie à une crise existentielle.
INDOMPTABLES de Thomas Ngijol. France, 2025, 1h21. Avec Thomas Ngijol, Thérèse Ngono, Danilo Melande, Bienvenue Mvoe. Festival de Cannes 2025, Quinzaine des réalisateurs.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Adaptation du documentaire de Mosco Levi Boucault, Un crime à Abidjan (1995), Thomas Ngijol choisit de déplacer l’intrigue au Cameroun, le pays de ses parents, afin de mieux s’approprier le récit, tout en conservant sa structure policière. Ce changement de décor lui permet de brosser un portrait de la société camerounaise contemporaine . Une société patriarcale rongée par la misère, la corruption, avec ses rapports codifiés et sa violence qui s’infiltre partout, dans la police comme dans la famille.

«Laisser la violence perdurer ou l’exercer soi-même », dilemme auquel Billong, commissaire de police à Yaoundé, dit devoir faire face dans l’exercice de ses fonctions. Il enquête sur la mort d’un de ses confrères, tué par balles à l’instant précis où une coupure de courant a plongé le quartier dans l’obscurité.
Homme de principe et de tradition, «homme de tenue», comme il le dit, ce commissaire terrorise les criminels qu’il traque sans pitié, tout comme les membres de sa famille, dont certains ont même fui le foyer. Au cours de cette enquête, toutes les tensions qui l’entourent s’en trouvent exacerbées. Dans la rue comme au sein de sa famille, il peine à maintenir l’ordre. Il approche du point de rupture. Sa femme lui suggère d’essayer d’aimer correctement ses enfants avant de vouloir les protéger.
Au-delà de l’enquête, le film a un angle politique. Il enregistre plusieurs états de fait sociétaux. Les coupures récurrentes d’électricité montrent la défaillance des services publics. Bien que le réalisateur montre un Cameroun socialement dysfonctionnel, il est fort dommage que le volet social et politique soit survolé et que le portrait d’une ville et d’une société soit seulement évoqué. La question des mécaniques de pouvoir et de domination traverse le film, mais sans être approfondie. Le cinéaste pose un regard sur une société affectée par une police en manque de moyens, qui utilise la brutalité et l’intimidation et qui est politiquement toute-puissante, voire au-dessus des lois.
Ce qui apparaît surtout dans ce film, c’est sa dimension émotionnelle qui ouvre sur l’intime, véritable pilier du long-métrage. Le film analyse surtout les liens qui semblent bloqués entre les personnages, mais qui vont se détendre à force de parler. La place de la parole est fondamentale dans Indomptables, de nombreuses incompréhensions sont levées par la parole. Le commissaire est désagréable, mais il a «du cœur». Il est pétri de bonnes intentions, mais aussi de préjugés. C’est un homme d’honneur, taciturne et profondément ancré dans ses traditions. Il est râleur, bourru avec ses collègues, complexe, torturé, en particulier dans sa relation à ses enfants.
Dans ce film, la question du père est centrale. Pour l’incarner, le réalisateur s’est inspiré de ses propres souvenirs d’enfance, aux côtés d’un père taiseux et peu démonstratif. On peut facilement imaginer que le réalisateur ait pensé à son père, mais sûrement aussi à son propre statut de père de famille. Dans la première séquence, on découvre Billong faisant la morale à son jeune fils à qui il aime rappeler que Marvin Gaye, chanteur et auteur-compositeur américain, a été tué par son père.

Héritage et transmission, préservation du patrimoine traditionnel, tel est le devoir que se donne Billong tant dans le langage (appeler « papa » toute figure d’autorité), que dans ses gestes (tendre la main et ordonner « salue-moi »). C’est le regard sur un père qui essaie de transmettre des valeurs qui lui sont chères à ses enfants.
A la fois film policier très sombre et drame personnel, Indomptables se permet aussi quelques traits d’humour. Les malfrats portent des surnoms insolites (Django, Poutine, Vin Diesel), et certains dialogues prennent des accents de comédie qui n’affaiblissent pas la tension dramatique.
Avec une mise en scène sobre, immersive et ancrée dans un réalisme social, Thomas Ngijol prouve qu’il sait manier le suspense autant que l’émotion. Il renouvelle ainsi son écriture cinématographique, tout en gardant sa singularité.
«La seule chose qui m’intéresse ce sont les émotions» raconte le réalisateur. «C’est marrant, parce que je suis très consommateur de foot ; mais mon équipe, qu’elle perde ou qu’elle gagne, je m’en fous. Ce que je cherche, c’est le frisson». Ce qui peut expliquer en partie le titre du film, qui rappelle les Lions indomptables, surnom de l’équipe nationale du Cameroun.
Philippe Cabrol