Enzo, 16 ans, est apprenti maçon dans le sud de la France. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
ENZO un film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo. France/Italie/Belgique, 2025, 1h42. Avec Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez, Maksym Slivinskyi. Festival de Cannes 2025, sélection Quinzaine des réalisateurs.
Critique de Diane Falque, SIGNIS France
Il est extrêmement émouvant d’apprendre que Enzo est le dernier film de Laurent Cantet, décédé juste avant le tournage, et réalisé par son ami fidèle Robin Campillo. Nous pouvons saluer le courage de l’équipe du film d’avoir abouti à ce projet avec autant de justesse dans le choix et le jeu des acteurs et de respect pour le sujet traité.

A travers le portrait d’un adolescent fragile et réfractaire, qui met en crise sa famille, Laurent Cantet souhaitait à nouveau traiter de l’adolescence comme un moment politique, où se confrontent les milieux sociaux, à travers les orientations et les projections que nous portons sur les jeunes.
Entre grand enfant et jeune adulte, filmé comme un « beau gosse » qui semble ne trouver sa place nulle part dans sa propre famille, avec ses épaules de nageur toujours entre deux eaux, Enzo – admirablement interprété par Eloy Pohu pour qui c’est un premier rôle – est jeune et complètement perdu.
Son corps d’athlète, il le livre sur le chantier dans un travail manuel de maçonnerie. A son père qui échange : «Je te dis que tu as le droit d’avoir des ambitions un peu plus grandes» il répond «J’ai des ambitions plus petites» Rebelle sous le regard bienveillant et patient de ses parents, il casse – ou déclasse – les codes, tandis que son frère est admis dans une grande école ! Laurent Cantet empruntait volontiers les mots de Jorge Luis Borges pour évoquer l’ambivalence du choix des études pour certains jeunes aujourd’hui : «Il n’y a pas pire labyrinthe qu’un labyrinthe en ligne droite».
Avec cette équipe de jeunes ouvriers aux beaux corps bien bâtis, qui manient la truelle et montent les murs, le chantier devient sanctuaire, temple de l’Olympe, vécu comme une utopie, où Enzo serait protégé et où il aurait moins peur. Il n’a jamais évoqué avec ses compagnons le milieu aisé d’où il vient.
Le chantier est aussi lieu de confrontation, où Enzo se cogne au réel, physiquement d’abord avec ses mains en sang, à force de manier les parpaings. Et devant les images de guerre qu’il découvre sur téléphone, qui le fascinent littéralement, au point de les mettre en dessin. Face à son père ultra-protecteur, il n’a qu’une envie : celle de s’arracher de ce monde, de partir, de voir ailleurs.
Le chantier devient également lieu où s’éveille sa sensualité. Homosexuel il l’est et ce n’est pas la question. Il va trouver dans la figure de son collègue Vlad, ouvrier ukrainien, bien plus qu’un compagnon : un mentor, un père. La proximité qu’il entretient avec lui est lourde de gravité.
Avec des jeux d’acteurs très justes et fluides, à la limite du documentaire, ce film prend le temps de nous parler de passation, de transmission, d’initiation.
Diane Falque