MédiasLes Chroniques CinémaTHE SHAMELESS de Konstantion Bojanov

THE SHAMELESS de Konstantion Bojanov

Ce film, du réalisateur bulgare Konstantin Bojanov, est la suite, en fiction, d’un documentaire qu’il avait réalisé dix ans plus tôt sur les prostituées devadasi. Centré sur l’amour, la sexualité et le libre arbitre, le film dresse un tableau sordide du monde de la prostitution dans une société indienne aux traditions violentes et immuables. La bonté n’est vraiment pas de ce monde.

THE SHAMELESS de Konstantin Bojanov. Suisse/France/Bulgarie, 2024, 1h55. Festival de Cannes 2024, sélection Un Certain Regard. Avec Anasuya Sengupta, Anuksha Pushparaj, Auroshika Dey, Rohit Kokate.

Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France

Dans le sud de l’Inde, où se situe la communauté devadasi, l’innocence des filles est violée sous le regard complice de leurs mères et les hommes, simples quidams ou puissants, sont le reflet de la masculinité toxique. C’est là, dans cette région éloignée, que Nadira, prostituée à Delhi en fuite après avoir poignardé un policier, pense trouver un refuge sûr. Elle change d’identité et devient Renuka, une femme sans passé, rebelle et secrète. Elle se laisse attendrir cependant quand elle croise le doux regard souriant et innocent de la jeune Devika. L’amour est là qui s’épanouit délicatement entre les deux prostituées, si différentes au départ.

Seule la tendresse semble pouvoir sauver les deux protagonistes de la violence intrinsèque des hommes. Renuka est une femme révoltée que la vie a endurcie. Elle est interprétée par Anasuya Sengupta, qui n’était pas, jusque-là, une actrice professionnelle. Elle fournit pourtant une prestation époustouflante qui lui a valu le prix d’interprétation féminine dans la catégorie Un Certain Regard au Festival de Cannes 2024. Face à elle, la jolie Devika est incarnée par la jeune Omara. Son visage rayonnant détonne. L’adolescente est pourtant considérée par sa famille comme une marchandise sexuelle dont on vend la virginité au plus offrant.

Dans ce monde dépravé de toute part, il n’y a pas d’autres personnages positifs. Même l’homme qui aide Renuka à fuir de là et lui montre respect et affection est un tueur à gage. L’histoire du film est résolument sombre et désenchantée. Le réalisateur assume une tonalité proche du thriller et insiste sur la nécessité d’émancipation des femmes. Pour lui, la narration transcende les frontières culturelles et révèle notre humanité commune.

La naissance d’une idylle entre une prostituée fuyant la loi et une jeune femme née dans le système devadasi aborde le tabou de l’homosexualité en Inde et critique un système des castes encore bien ancré. The Shameless se révèle un néo film noir avec un dénouement très sombre où le personnage principal ne parvient pas à s’échapper d’une situation désespérée. Le monde reste dominé par les hommes, avec un contrôle social omniprésent, une police et des politiques corrompus.

Dans un tel univers, les femmes à l’innocence perdue ne peuvent pas s’en sortir. Il n’y a pas d’épiphanie, juste un cercle vicieux qui se répète. Les gros plans sur le visage marqué ou rayonnant des deux héroïnes offrent la seule lumière qui émane de ce cloaque. Doté d’une superbe cinématographie et de couleurs intenses, The Shameless reste un film dur, qui nous marque et dont on ne ressort pas indemne.

Anne Le Cor

Latest

More articles