Au seuil de sa vie, Leonard Fife, un célèbre documentariste, ne fait pas que se remémorer les moments importants de son existence, il les revit véritablement face caméra. Dans cette dernière interview, il est pressé de tout dire en un seul jour, comme s’il savait qu’il n’y avait plus le temps pour des lendemains.
OH, CANADA de Paul Schrader. Etats-Unis, 2024, 1h28. Avec Richard Gere, Uma Thurman, Michael Imperioli, Jacob Elordi. Festival de Cannes 2024, en compétition.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Oh, Canada est l’histoire d’une double délivrance. Le titre du film fait référence à l’hymne du pays et de fait, le Canada est au centre du film. C’est le premier nom inscrit sur la route d’un nouveau départ, lorsque le jeune Leonard décide de fuir son pays, les États-Unis, pour échapper à la conscription, synonyme d’aller direct pour la guerre du Vietnam. Ce sont aussi ses mots ultimes, prononcés en un dernier souffle, alors que la maladie qui le condamne finit par l’emporter. Dans les deux cas, il est question d’un chemin de liberté, qui délivre d’une situation qui lui échappe et qui l’enferme.
Le récit, sous forme de flashbacks, est le testament sans concession d’un homme libre, toute sa vie durant. Après une première collaboration, il y a plus de quarante ans, Oh, Canada signe les retrouvailles du réalisateur américain Paul Schrader et de Richard Gere. Mais ici, l’acteur américain troque les voitures de sport et les vêtements de luxe d’American Gigolo contre le pyjama bien plus ingrat de vieillard impotent sur son fauteuil roulant. La flamme est toujours là pourtant, dans les yeux de l’acteur américain aux cheveux blancs, qui n’a rien perdu de son charme et de sa présence à l’écran.
Paul Schrader est avant tout un scénariste aux multiples collaborations avec de grands réalisateurs. Il aime s’attaquer aux tabous de la société, ici la mort. Son récit se base sur le livre écrit par son ami, l’écrivain Russell Banks, alors malade et décédé depuis. Il choisit une approche de construction avec deux temporalités différentes, le présent et le passé. Il qualifie ainsi son film de « mosaïque » en présentant également un dédoublement de la narration.
Quand Leonard raconte son histoire, sa voix-off alimente le parcours de son personnage jeune, incarné par le comédien australien Jacob Elordi. Dans une ultime confession avant de mourir, il livre toute la vérité sur sa vie sous les yeux de sa dernière épouse, interprétée par la star américaine Uma Thurman. Peu présente sur les écrans ces dernières années, Paul Schrader avait à cœur de travailler avec elle. Quant au réalisateur qui recueille les dernières confidences de son ami Leonard, il est campé par Michael Imperioli. L’ancien élève et le maître se retrouvent en pleine confiance derrière et devant la caméra.
Présenté en compétition au dernier festival de Cannes, Oh, Canada offre une photographie léchée, avec des formats d’images différents et des couleurs adaptées aux quatre époques figurées à l’écran. C’est un film au rythme assez lent et qui se dévoile par étapes. La mort et la déchéance physique qui la précède y sont abordées avec naturel et sans détour. D’où une certaine malaisance parfois face à la vérité brute d’un homme qui jouit toute sa vie de la liberté de ses choix, et dont le dernier souffle se confond en une ultime libération.
Anne Le Cor