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DIMANCHES de Shokir Kholikov

Venu d’un pays très peu présent dans la production cinématographique, l’Ouzbékistan, un premier long-métrage où, dans un mélange de délicatesse et de malice, où les gestes sont plus explicites que les mots, nous découvrons la vie d’un vieux couple qui comprend que son temps est passé.

DIMANCHES de Shokir Kholikov. Ouzbékistan, 2023, 1h37. Avec Abdurakhmon Yusufaliyev et Roza Piyazova, Nasrullo Nurov, Rano Sharipova.

Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France.

Dimanches se déroule sur sept jours en sept semaines et en huit chapitres qui mettent en scène l’arrivée de nouveaux objets ainsi que les difficultés d’adaptation qu’en subissent les protagonistes. D’un premier dimanche d’été au dernier dimanche en hiver.

Le film commence par un long silence qui accompagne les gestes d’un couple âgé. L’homme, par un geste, commande à sa femme de se lever pour changer la chaîne de la télé. Elle s’exécute sans rechigner. Ce silence apparaît comme celui de la compréhension et de la routine instaurée par ce couple qui vit dans une ferme entourée d’une nature sauvage et coupée du reste du monde.

Ce couple de paysans vit tranquillement dans un petit village de la campagne ouzbèke, où il travaille la laine. Tous deux ont un mode de vie intemporel : tondre les moutons, traire les chèvres, cultiver les pastèques et tisser des tapis. Le vieil homme est obstiné, égoïste, autoritaire, souvent mutique et cède rarement aux gestes d’affection de son épouse. Quant à elle, elle est conciliante et soumise aux valeurs traditionnelles du patriarcat.

Peu à peu, leur existence est bouleversée par les sollicitations de leurs deux fils qui insistent pour faire pénétrer la technologie chez eux malgré leurs réticences. Les objets d’hier sont peu à peu remplacés par des nouveaux plus modernes, que le couple a du mal à faire fonctionner et dont il n’a pas besoin. Ensembles, ils font face à ces nouvelles situations et essaient de s’adapter à leur nouveau mode de vie. Ces épreuves permettent au cinéaste de montrer la pureté du sentiment amoureux qui anime ce vieux couple et ainsi de nous conter une belle histoire d’amour.

Les enfants du couple, vivant à la ville représentent la rupture intergénérationnelle avec leurs parents. Depuis 2022, l’Ouzbékistan mène différentes réformes en vue de libéraliser son économie. Le secteur des technologies est l’un de ceux qui se développent le plus rapidement. Ce choix est commandé par un État qui cherche à moderniser le pays, quoiqu’il en coûte. Cet État, sans qu’aucune critique directe ne lui soit portée dans le film, se manifeste indirectement par le prisme des enfants.

Tourné en plans séquences, le film a un rythme lent et les scènes ont tendance à se répéter d’une journée à l’autre. Ce long-métrage repose sur un huis clos en plein air, car la caméra ne quitte pas la ferme du couple. Le cinéaste prend le temps de montrer le quotidien. Nous découvrons des gestes ancestraux, nobles, habiles, remplis de sens et pleins d’humanité. En effet, Dimanches décrit plus la vieillesse, la complicité, la distance au monde de ce vieux couple que l’irruption du modernisme.

Dans ce long-métrage, nous n’entendons pas de musique, mais le bêlement des moutons, le bruit du vent, de la pluie et des moments de silence qui créent une dimension contemplative envoûtante.

Avec ce premier film, le jeune cinéaste ouzbek Shokir Kholikov nous offre une œuvre d’une maîtrise époustouflante et d’une beauté poignante. Pensons au dernier plan magnifique montrant le vieil homme sous la neige qui s’éloigne de la maison. Dimanches rappelle qu’il n’y a pas d’âge pour l’apprentissage de la tendresse et pour assumer sa vulnérabilité. La caméra du réalisateur parvient à traduire d’infimes mouvements de l’âme à travers des gestes élémentaires.

Philippe Cabrol

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