Ce film original, fascinant et déconcertant, suit un jeune garçon qui intègre un groupe de personnes en situation de handicap, et questionne les notions de normalité et d’identité.
SIMON DE LA MONTANA de Federico Luis. Argentine/Chili/Uruguay, 2024,1h38. Avec Lorenzo Ferro, Kiara Supini, Pehuen Pedie. Festival de Cannes 2024, grand prix de la Semaine de la critique.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Le film s’ouvre au milieu des montagnes de la Cordillère des Andes en Argentine. On y découvre Simon, adolescent mystérieux accompagné d’un groupe de jeunes neuro atypiques. On comprend vite que Simon ne fait pas tout à fait partie de cette bande et semble l’avoir intégrée presque par hasard. Ces adolescents et jeunes adultes(la plupart des acteurs de ce long métrage sont en situation de handicap cognitif) semblent laissés à leur propre compte. Ils sont engloutis par la brume et un vent assourdissant. Malgré leurs difficultés motrices, ils tentent de se rejoindre, au pied d’une statue du Christ, sans réseau téléphonique pour obtenir la moindre aide. Simón se hisse à la hauteur du corps du Christ pour atteindre un signal.

Le groupe est sauvé. Sur le chemin du retour de la montagne, le sonotone qu’une jeune fille offre, dans le bus, à Simon, devient très vite l’objet emblématique du film. L’appareil auditif lui permet d’accéder aux autres. Il ne remplit pas ici une fonction médicale mais joue un rôle de médiateur, il devient l’objet qui tisse le lien de Simón avec le groupe. Plus qu’entendre l’autre, Simón veut entendre »comme l’autre » et »mal entendre comme l’autre ». Bien que lui-même ne soit pas en situation de handicap, son objectif est d’intégrer le groupe dont font partie Pehuén, son nouvel ami, et Kiara.
On ne sait rien de la situation de ces jeunes neuro atypiques : se sont-ils perdus dans la montagne ? Jouent-ils ? L’image pas plus que le son ne nous donnent d’éléments de réponses. On ne comprendra pas grand-chose de plus, le film ne donne quasiment pas d’explications. Cette réserve, qui est aussi celle de Simón, permet au réalisateur de construire « la bulle de son récit » dans un flou intriguant. Dès la première scène dans la Cordillère des Andes, l’intention du film est claire : jouer avec l’ambiguïté pour retranscrire les doutes de ces adolescents. Par la suite, la caméra de Federico Luis ne va plus s’attarder sur les sublimes paysages, mais préfère filmer les personnages et les mouvements des visages.
Dès son intégration dans le groupe, Simón suit partout Pehuén, il l’accompagne au centre, à la piscine, dans les jeux qu’ils investissent. Simón découvre les avantages qu’il y a à feindre le handicap, dont Pehuen lui enseigne toutes les astuces. Il adopte les attitudes propres au groupe par des gestes extérieurs : regards, postures, manière de parler…
Le jeune homme ressent pour ses nouvelles connaissances une amitié profonde qui, tout en ravivant des blessures, réveille des pans de sa personnalité. Simón se reconnaît et surtout se rencontre. Il découvre la fraternité, la tendresse, la sexualité, la violence, la liberté : il accède à la part la plus vraie de son humanité.
Avec ceux qu’il considère comme ses pairs, il est un modèle de douceur, de prévenance, alors qu’il devient violent et mutique dès qu’il se retrouve avec sa mère et son beau-père.
Le handicap, loin d’être un simple subterfuge, s’intègre à son identité en écho à son évolution personnelle. Il traverse une expérience de transformation : c’est une réconciliation avec lui-même, avec sa place dans le monde et son rapport à l’altérité.

Cependant le film nous laisse dans l’incertitude : pourquoi ce jeune homme mime-t-il une pathologie ? Simón a-t-il subi une transformation profonde ou continue-t-il à se dissimuler derrière un mensonge ? Quelles sont ses motivations ? Joue-t-il un rôle, est-il devenu quelqu’un d’autre ?
Simón de la montaña est une œuvre déroutante par son refus d’expliquer les intentions de son héros, un personnage fascinant qui navigue entre deux mondes et dont le film ne nous dira jamais s’il joue ou s’il finit par devenir celui qu’il choisit d’être. La caméra ne se détache jamais du visage de Simón. La mise en scène privilégie la proximité avec les corps et les espaces, jouant sur les frontières physiques et symboliques que les protagonistes franchissent.
Avec ce premier long-métrage, Federico Luis démontre le style singulier de la nouvelle vague du cinéma de son pays, regorgeant de jeunes talents qui émergent sur la scène cinématographique argentine.
Philippe Cabrol