Un père et son fils arrivent dans une rave party en plein désert marocain. Ils y cherchent Mar, la fille de la famille qui a disparu dans le monde de ces fêtes sauvages. Sirât est l’histoire de cette quête d’un être cher qui se transforme en Jugement Dernier, dans une métaphore noire de l’état du monde post 7 Octobre.
SIRAT d’Oliver Laxe. Espagne/France, 2025, 2h00. Avec Jade Oukid, Sergi Lopez, Bruno Nunez, Stefania Gadda, Joshua L. Henderson, Tonin Janvier, Richard Bellamy. Festival de Cannes 2025, compétition officielle, prix du jury.
Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France
Oliver Laxe est un réalisateur galicien qui s’était fait remarquer à plusieurs reprises dans les années 2010 notamment avec Viendra le feu, une fiction à dimension personnelle se déroulant en Galice et suivant les pas d’un ancien pyromane de retour en forêt. Ayant commencé par le documentaire, Laxe est parvenu à définir son style propre dans la fiction : un cinéma très soucieux de la sociologie des personnages et des dynamiques de groupe, mais toujours au bord du mystique et particulièrement évocateur.

Dans l’eschatologie musulmane, le Sirât est un pont surplombant un fleuve et menant à l’entrée du paradis. Fin comme un cheveu et tranchant comme une épée, il est la ligne de crête sur laquelle les âmes sont jugées. Conscient de cette métaphore à filer, le film commence par une plongée dans une rave party en plein désert où débarque Luis (Sergi Lopez) à la recherche de sa fille disparue. Accompagné par son fils et sa chienne, ils ne sont clairement pas “du milieu” – ne serait-ce que par leurs âges respectifs qui bornent largement ceux des teufeurs. Ils sont là pour distribuer des flyers et trouver quelqu’un ayant vu Mar dans une de ces fêtes sauvages.
C’est ainsi que le film entame sa visée quasi documentaire, par une sociologie de la rave déclenchée par des pièces rapportées qui génèrent autant d’actes de solidarité que de défiance, mais aussi par un balayage géographique des splendides paysages désertiques et montagneux qui évoquent l’Atlas Marocain (bien que tournés en Espagne). Une première vision mystique se produit grâce aux lasers de la scène principale qui vont fendre en deux une falaise pour y dessiner un escalier géant.
La musique est un élément central de Sirât : une techno “art et essai” loin du cliché des boum-boum mais plus proches de vrombissements en infra-basse qui font entrer la cage thoracique en résonance, forme primaire de connexion au spirituel comme le om tibetain ou le chant de gorge mongol. Pour les férus de technos, Sirât est déjà un film culte. Loin d’être le premier à mettre à l’honneur ce genre musical, le film le fait dans un style particulier : celui du Français Kangding Ray et sa techno expérimentale mais toujours cathartique.
Sergi se lie d’amitié avec un petit groupe de teufeurs qui l’emmènent avec eux malgré sa voiture bien inadaptée à une traversée du désert. Pile au milieu du film, il y a une bascule narrative soudaine et une rupture de tonalité dans les scènes qui prennent un goût proche de la série B et du cinéma d’horreur américain des années 1970. C’est une série d’épreuves qui s’entame pour Sergi et ses compagnons d’infortune, bien déterminés à trouver où s’est fixée la prochaine teuf tandis que la radio annonce brièvement un conflit entre deux nations puis le début de la 3ème guerre mondiale. Cela ne semble que peu affecter les protagonistes qui verbalisent à regret avoir déjà accepté la fin des temps. C’est dans ce segment qu’une nouvelle vision se produit, une contreplongée sur un rail ferroviaire qui défile à toute vitesse et évoque le titre du film.

Sirât était présenté en compétition au Festival de Cannes parallèlement à Eddington d’Ari Aster, autre film en salles qui cherche à malléer le désespoir d’époque en matériau de cinéma. Si les deux films affichent un nihilisme déplaisant par beaucoup de moments ainsi qu’un “bouquet final” aussi spectaculaire que conceptuel, l’épilogue ultime de Sirât offre une luminosité inattendue et réflexive qui lui a valu le Prix du Jury et les faveurs soutenues de la presse critique.
Il est vrai que Sirât est un fascinant objet de cinéma, suffisamment pour que l’on se demande si l’on ne tient pas là un film définitif du quart de siècle. Cette ligne fine et tranchante sur laquelle le film file et le spectateur avec, c’est l’interprétation du Sirat par Oliver Laxe et j’oserai un parallèle avec ce passage de Matthieu : Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent.
Pierre-Auguste Henry

