Les Enfants rouges propose une plongée onirique dans la psyché d’un enfant confronté à une incompréhensible injustice et son incroyable capacité à surmonter ce trauma. Ce film, dont l’action se situe en novembre 2015, pendant une période politiquement turbulente en Tunisie, s’ancre dans les tensions socio-politiques de l’époque.
LES ENFANTS ROUGES de Lotfi Achour, Tunisie/France/Belgique/Arabie saoudite/Pologne, 2024, 1h40. Avec Ali Hleli, Yassine Samouni, Wided Dabebi, Younes Naouar, Latifa Gafsi. Sélection officielle Locarno 2024. En France, le film est interdit aux moins de 12 ans.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Le film Les Enfants rouges est »une fiction basée sur une histoire vraie » nous prévient le générique de début. Il s’appuie sur les tragédies vécues par Mabrouk et Khalifa Soltani, deux frères bergers, victimes d’assassinats barbares perpétrés par des groupes terroristes.

Dans les paysages impitoyables du djebel Mghila, un environnement isolé fait de montagnes et de paysages arides, en Tunisie, vivent parmi une petite communauté composée quasi exclusivement de leur famille, Achraf, un adolescent de 13 ans, et son cousin Nizar, 16 ans. Leur quotidien simple est rythmé par la garde du troupeau et les rêves et espoirs auxquels ils s’accrochent. La vie du jeune berger Ashraf est irrévocablement affectée par un acte de violence inattendu et brutal. Il jouait innocemment avec son cousin Nizar, lorsque un groupe de djihadistes les attaque. Quand Ashraf reprend ses esprits, allongé sur le sol, l’horreur survient : un des terroristes dépose la tête de son cousin devant lui, lui sommant de la rapporter à sa mère pour que toute la famille apprenne à se taire, à ne pas révéler leur présence aux militaires.
Traumatisé, Achraf rentre au village. Sur le chemin du retour, il découvre que le fantôme de son cousin le suit. C’est pour lui une présence apaisante qui va l’aider à accomplir la mission qui lui a été confiée. Achraf va faire un douloureux voyage initiatique durant lequel il aura besoin de toute son imagination et de sa jeunesse pour survivre.
Le film va, dès lors, passe d’un récit solitaire à une dimension collective. La famille est intégrée dans l’histoire. Et ce, avec la volonté de désigner les coupables, de retrouver le corps et de pouvoir l’inhumer et de faire le deuil. Ashraf va être obligé de se joindre au reste de sa famille pour aller récupérer le corps de son cousin, afin de l’enterrer. Entre la crainte et les représailles, le refus de la résignation l’emporte pour offrir une sépulture au sacrifié.La mère demande de pouvoir enterrer son fils en entier : »On ne peut pas enterrer mon fils. Il est né entier. Il faut que je l’enterre entier ».

Le réalisateur montre la dignité du clan, son courage et sa solidarité qui les sauvent. La souffrance de la famille s’étend au voisinage et reflète une détresse collective. »Tu as ouvert la porte de l’enfer et tu nous as abandonné » : par cette réplique, c’est la sidération d’un pays que le cinéaste nous livre. En effet, Achour pose la question de l’impact psychologique de la violence, notamment sur les enfants, en dépeignant la dure réalité de la Tunisie rurale. Le film porte aussi un regard politique sur les communautés rurales coincées entre une menace terroriste et un état qui l’abandonne plus ou moins à son sort, et dont le seul espoir d’une vie meilleure passe par l’éducation.
Mais le long-métrage Les Enfants rouges met surtout en avant la résilience humaine, en particulier la capacité des enfants à transcender des horreurs inimaginables grâce à leur force intérieure et leur imagination. Il pose un regard empathique sur cette communauté rurale et pauvre. À la mise en scène souvent naturaliste font contrepoint des séquences de rêves surréalistes. Signalons que être quelqu’un de «rouge» est une expression de cette région tunisienne signifiant que l’on est vaillant, résiliant et capable de faire face à l’adversité. D’où les «enfants rouges» du titre.
Les Enfants rouges est une véritable cri d’alerte contre l’injustice et l’oubli. En effet, Lotfi Achour s’est toujours distingué par son approche audacieuse et son engagement pour des causes sociales. Avec ce film il continue de donner une voix aux laissés-pour-compte tout en affirmant sa maîtrise cinématographique.
Philippe Cabrol