Le réalisateur chilien Sebastián Lelio aime les histoires de femmes. Son nouveau long métrage filme une révolte estudiantine en musique. L’histoire personnelle de Julia se confond avec la déferlante féministe qui déchire la société chilienne toute entière. Il est question de harcèlement et de consentement, de viol et de mémoire, mais surtout de femmes qui osent faire entendre leurs voix.
LA VAGUE / LA OLA de Sebastián Lelio. Chili, 2025, 2h09. Avec Daniela López, Lola Bravo, Avril Aurora, Paulina Corté.
Critique d’Anne Le Cor, SIGNIS France
Le scénario se base sur des faits réels lorsqu’en 2018 une vague de manifestations féministes déferle sur le Chili. Julia, une étudiante en musique décide de rejoindre le mouvement Me Too de son université pour dénoncer le harcèlement et les abus subis par les élèves depuis trop longtemps. Elle ose partager avec des étudiantes le souvenir d’une relation d’un soir qui la hante et elle devient, de manière inattendue, une figure centrale du mouvement qui envahit le pays tout entier. Son témoignage, intime et complexe, devient la vague qui submerge une société secouée et polarisée.

Le patriarcat est l’ennemi à abattre et l’on va jusqu’à rejeter la notion même de père. Le genre de la comédie musicale permet tous les excès. Le sérieux du propos n’est pas dénué de traits d’humour qui viennent ponctuer la narration et l’empêchent de tomber dans la caricature. Car sous des aspects qui peuvent paraître excessifs, le récit est en fait assez équilibré et pose bien tous les ressorts du débat qui agite nos sociétés sur les nouveaux codes des relations entre hommes et femmes.
Le quatuor d’actrices principales, Avril Aurora, Lola Bravo, Paulina Cortés et Daniela López qui interprète Julia, n’avait jamais fait de cinéma avant La Vague et elles ont postulé via un casting géant relayé sur les réseaux sociaux. S’en est suivi une longue période de formation au jeu d’acteur et au mouvement, à la performance scénique et à la technique vocale. Le résultat est époustouflant et la mise-en-scène ne souffre pas de temps mort. Daniela López particulièrement réalise un tour de force, elle chante et danse avec talent, mène les chorégraphies et fait montre d’un vaste champ d’émotions dans son interprétation, allant de l’enthousiasme au doute et à la déception.

La comédie musicale filmée est une première au Chili et le réalisateur Sebastián Lelio en respecte tous les codes. Il joue avec les décors qu’il exploite et martyrise à foison. Les murs particulièrement sont mis à contribution et les cloisons sont autant de sas qui entraînent les acteurs dans un monde féerique. Sebastián Lelio s’est adjoint les services du compositeur britannique Matthew Herbert pour la partie musicale et du chorégraphe américain Ryan Heffington. La star de Broadway a imaginé des ballets impressionnants et percutants avec parfois plus de 200 danseurs.
La Vague est un film au rythme enlevé et aux chansons entêtantes. Les chorégraphies sont particulièrement soignées et bien filmées. Le tout mêlant habilement un sujet sociétal prégnant à la légèreté d’envolées lyriques bien maîtrisées. C’est un coup de maître pour son réalisateur qui a su conjuguer deux premières dans son pays, une révolte féministe et une comédie musicale dans un mariage heureux et baroque non dénué de sens par ailleurs.
Anne Le Cor
En 2013, à la Berlinale, Sebastián Lelio recevait le prix œcuménique pour son film Gloria.

