Dans son dernier opus, Quentin Dupieux n’y va pas de main morte pour dénoncer l’engrenage des relations qui se transforment vite en addiction quotidienne sur les réseaux sociaux, entre certains influenceurs et leur public en quête permanente de ce qui fera le prochain buzz !
L’ACCIDENT DE PIANO de Quentin Dupieux. France, 2025, 1h28. Avec Adèle Exarchopoulos, Jérôme Commandeur, Sandrine Kiberlain, Karim Leklou.
Critique de Bernard Bourgey, SIGNIS France
Ici Magalie (Adèle Exarchopoulos) «Magaloche» pour ses fans, aurait tort de ne pas s’enrichir sur le Web: elle est née avec le symptôme rare de l’insensibilité congénitale à la douleur, ce qui lui permet de se filmer dans des directs de 10 secondes entrain de prendre des coups de marteau sur la tête, de se faire frapper par une batte depuis une voiture lancée à grande vitesse, de mettre ses doigts sous l’aiguille d’une machine à coudre, de se faire rouler dessus par un camion et autres « exploits » à rendre addicts les ados qui la suivent, qu’elle ne manque pas d’inviter régulièrement à rester des abonnés et des «followers» assidus. Transformée en garçon manqué, habillée à la manque, appareil dentaire disgracieux, minerve, plâtre au bras et pansements, car l’insensibilité n’en provoque pas moins des blessures, Magaloche est de surcroît antipathique avec tout le monde, à commencer par son dévoué Patrick (Jérôme Commandeur) larbin à tout faire.

Jusqu’au jour où le piano qui donne son titre au film et à sa musique (ferrailleuse marche funèbre de Chopin !) au lieu de tomber d’une grue sur notre vendeuse en insensibilité, tue la maquilleuse qui se trouvait au mauvais endroit.
Secouée, Magalie va se prendre un temps de repos dans un chalet montagnard, mais son éventuelle empathie pour la morte passe bien après l’évidence que si cet accident venait à être ébruité, ce serait la fin de sa célébrité ! Or il se trouve qu’une journaliste (Sandrine Kiberlain) qui semble en savoir un peu trop, décroche à l’arraché une interview à celle qui les fuit par principe, dialogue qui va réveiller le monstre qui sommeillait sous la célébrité factice.
Quentin Dupieux attaque frontalement l’univers du nombrilisme, du clinquant, des contenus vides de tout intérêt mais qui engendrent l’argent facile, mettant en avant le personnage de Magalie qu’on déteste dès sa première apparition à l’écran ! Un fan de la star (Karim Leklou) et son complice qui la suivent en permanence pour obtenir un selfie avec elle, livrent un comique de répétition devant lequel on ne sait s’il faut pleurer ou rire devant tant de bêtise ! Comme si ce n’était pas assez, il fait de la journaliste une professionnelle suffisamment retors pour savoir habilement pousser son interlocutrice dans ses retranchements, le réalisateur envoyant ici comme une petite pique aux médias en général, même s’il nous offre là un beau duo de cinéma. Mais Dupieux est assez fin pour ne pas tomber dans le style « donneur de leçon »
L’imagination du réalisateur semblant être sans limites, il offre en plus à Magalie des scènes de vengeance envers celles et ceux qui pourraient lui nuire, dans lesquelles l’horreur et les jeux de massacre ne seraient pas désavoués par un Tarantino ou par les frères Cohen ! Ce, sans que l’humour noir et le burlesque ne soient jamais loin…
Seule source in fine d’une métamorphose possible pour Magalie, ce corbeau qui au début du film s’écrase sur le pare-brise de l’ambulance qui emmène Magalie dans son chalet, enterré sur le bord de la route dans la neige et qui ressuscite au dernier plan, est une possible belle fin imaginée dans ce conte satirique qui déconcerte, tout en étant accessible à un large public.
Bernard Bourgey

