Une chronique sociale plurielle et lumineuse, cinq histoires, celles de cinq jeunes filles qui se libèrent d’un destin, d’une prison, chacune à sa façon.
JEUNES MERES de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Belgique/France, 2025, 1h45. Compétition officielle Festival de Cannes, prix du jury œcuménique. Avec Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaina Halloy et Lucie Laruelle.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Les premières scènes de Jeunes mères sèment le trouble. Ils mettent en scène cinq protagonistes, dans une maison maternelle de Liège en Belgique, qui devient le point d’ancrage du film. Nous découvrons l’histoire de Jessica, Perla, Julie, Ariane et Naïma, hébergées dans une maison maternelle, leur cocon, qui les aide dans leur vie de jeune mère. Ces cinq adolescentes ont l’espoir de parvenir à une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur enfant.

Les histoires de ces jeunes filles diffèrent, mais dans tous les cas persiste la crainte d’un schéma familial répété.Toutes sont issues de familles où règnent la pauvreté (économique et intellectuelle), la violence (physique, morale et sexuelle), et l’addiction (alcool, drogue). Mais si les erreurs peuvent se transmettre de génération en génération, rien n’est immuable, et le portrait de ces cinq jeunes mères est là pour le prouver. En dépit des disparités de caractère de chacune, des racines diverses de leur désir précoce de maternité, il y a de la sororité qui se diffuse et de l’amour à partir de petits gestes. Le lien est primordial et il commence au centre d’accueil des jeunes mères, ces maisons dites « maternelles », véritable lieu d’apprentissage des gestes, enseignés par des éducatrices.
Le choix des histoires permet de diversifier les personnages et leurs enjeux. Certaines sont encore enceintes, d’autres ont déjà accouché. Entourées par des équipes médicales et des soignantes, elles doivent apprendre à s’occuper de leur bébé à travers l’apprentissage des gestes du quotidien afin de devenir mère à part entière, ou bien se préparer à le confier à l’adoption. Tout est organisé pour les protéger et les responsabiliser. Et elles sont dans une situation où cohabitent amour maternel, volonté de survie, sentiment de culpabilité. Et surtout, comment devenir mère alors que l’on est encore, soi-même, une enfant ?
A travers Jeunes mères, Jean-Pierre et Luc Dardenne continuent à explorer la misère de notre société, qui est la marque déposée de ces deux cinéastes. Après les dettes, le chômage, les sans-papiers, les trafiquants… ils s’intéressent à la maternité.
Dans ce film choral, sont analysés la construction du lien d’attachement entre ces jeunes mères et leurs enfants, le rapport à autrui et notamment aux bébés déjà considérés comme une personne, la pauvreté, la reproduction de schémas familiaux dysfonctionnels, les conséquences engendrées par les carences affectives.
C’est une fois de plus le même langage, les longs plans-séquences, les tranches de vie en direct, la manière de filmer les regards et les visages au plus près : de devant, de derrière, sur le côté, acteurs majoritairement non professionnels, articulation d’un ancrage social mais jamais les mêmes histoires, mais jamais les mêmes trajectoires, et toujours un socle solide : l’empathie pour leurs personnages et à travers eux pour l’humanité qu’ils incarnent.
Jeunes mères est bien dans la droite lignée du cinéma des Dardenne : un film social, à la dimension humaniste forte où l’espoir est permis. Les deux cinéastes offrent aux personnages une vive réalité de leurs forces et leurs faiblesses. Ce sont des mères larguées peut-être, mais des mères humaines.

Jeunes mères est un hommage à la force et la solidarité des femmes. Perla, Ariane, Julie, Jessica devront prendre une décision capitale pour la suite de leur vie : garder leur enfant ou le placer. Elles ont à réparer ou à construire quelque chose. Jean-Pierre et Luc Dardenne : « Il nous semble que ces cinq jeunes mères nous ont conduits vers les émotions les plus fondamentales». Cette œuvre est optimiste, la scène de la rencontre avec une ancienne professeure de l’une des filles, qui à partir d’un poème mélancolique de Guillaume Apollinaire joue une sonate de Mozart est fortement symbolique.
A propos de Jeunes mères, les cinéastes ont déclaré « On n’explique jamais nos personnages. Ils doivent avoir en eux un noyau, quelque chose qui résiste aux interprétations les plus savantes». Avec cette œuvre, à l’émotion discrète, qui impressionne par sa maîtrise formelle, Jean-Pierre et Luc Dardenne nous offrent, dans un style épuré, une bouleversante ode à la résilience.
Philippe Cabrol
Au Festival de Cannes où le film était en compétition, il a reçu le prix du jury œcuménique, avec la motivation suivante :
Ce film illustre une approche éthique non pas par de grandes démonstrations mais par des gestes bienveillants. C’est une histoire racontée avec douceur dans la meilleure tradition des auteurs qui, une fois de plus, sont capables d’apporter de la nouveauté à leur style épuré.
Le film explore la première et essentielle relation de toute vie humaine : la maternité. Cela nous ramène à une vérité profonde : l’amour peut perdurer, même quand la famille – cette structure sociale fondamentale – est défaillante, quand les circonstances sont défavorables, quand le fardeau des responsabilités d’adultes pèse sur la jeunesse. Ce film nous révèle que même les petits gestes persistants d’affection et de soin, qu’ils proviennent de personnes ou d’institutions, peuvent guérir les blessures les plus profondes.
Les membres du jury œcuménique 2025 : Lukas Jirsa, président (République tchèque), Arielle Domon (France), Anne-Cécile Antoni (France), Thomas. D. Fischer (Allemagne), Roland Wincher (Allemagne), Milja Radovic (Royaume-Uni).