A Taïwan de nos jours, une mère célibataire et ses deux filles reviennent à la capitale, après quelques années d’absence, pour trouver du travail. La plus jeune est gauchère, ce qui ne plaît pas du tout à son grand-père, et qui va déclencher des catastrophes et des explications familiales.
LEFT HANDED GIRL de Shih-Ching Tsou. Taïwan, 2025, 1h48. Avec Shi-Yuan Ma, Janel Tsai, Nina Ye, Brando Huang. Festival de Cannes 2025, sélection Semaine de la critique.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
L’un des charmes du film est certainement le décor principal, le marché de nuit de Taipei où Shu-Fen ouvre un stand de petite restauration. Un vaste espace couvert où on trouve toutes sortes de commerces : vêtements, jouets, bagages, salles de jeux… avec beaucoup d’objets en plastique coloré n’ayant aucune utilité. C’est un lieu très populaire, toujours bondé, scintillant, bruyant et I-Jin, 5 ans, en a appris tous les recoins au fil de ses pérégrinations quotidiennes. Pendant que sa mère fait cuire des nouilles et I-Ann, la fille aînée, vend du bétel en aguichant les clients par ses tenues sexy.

La réalisatrice américaine, d’origine taïwanaise, capte l’essence de sa ville natale à travers de petits détails et le brouhaha de cette mégapole où tradition et modernité se côtoient. La mise en scène est nerveuse, à l’image des lieux et des tensions familiales. Le grand-père fait peur à I-Jin en lui disant que la main gauche est celle du diable, et qu’il ne faut pas l’utiliser ; l’argent est source de conflit entre Shu-Fen, sa mère et ses sœurs ; et une véritable angoisse lorsqu’il faut payer le loyer du stand sur le marché.
L’aînée, comme de nombreux adolescents, est toujours en conflit avec sa mère et, lors d’une rencontre avec d’anciens camarades de lycée, semble regretter sa nouvelle vie. Il faudra attendre une fête familiale, à l’occasion des 60 ans de la grand-mère pour comprendre l’origine de beaucoup de tensions et de non-dits. Discrètement, et par à coup, le scénario montre bien le poids des traditions et la peur du regard des voisins, toujours vivaces dans cette société chinoise.
La fête d’anniversaire de la grand-mère est un superbe moment de cinéma et de règlements de comptes familiaux. On laisse le spectateur découvrir la succession de regards condescendants, de moments incongrus, de cris, de révélations libératoires, de quiproquo et d’humiliations qui vont arriver avant (ou avec) le gâteau. On le sait, au cinéma comme dans la vie, les repas de famille sont souvent des lieux propices aux explications, entre farce et drame. Avec Left Handed Girl, la réalisatrice Shih-Ching Tsou met astucieusement en scène ce repas mémorable.

Elle a donné les rôles principaux aux femmes, presque toujours responsables de transmettre les codes du patriarcat, alors même qu’elles en sont les premières victimes. Elles sont interprétées par de superbes actrices, y compris la très jeune Nina Ye, cette fillette gauchère et joyeuse qui pose des questions auxquelles personne ne répond.
Amorcée avant la fête d’anniversaire, la réconciliation entre les protagonistes du triangle familial de départ permet un retour au calme. On retrouve avec plaisir l’ambiance du marché de nuit, ce petit air de fête permanent, dans le brouhaha permanent de la vie ordinaire, où l’amour peut se déployer enfin, libre de tout secret.
Magali Van Reeth

