Ce premier long-métrage explore avec justesse, délicatesse et une intensité retenue, la confrontation à la fin de vie, en suivant Nino pendant les jours suivant son diagnostic et précédant son traitement à l’hôpital.
NINO de Pauline Loquès, 2025, 1h36 Avec Théodore Pellerin, William Lebghil, Salomé Dewaels, Jeanne Balibar. Festival de Cannes 2025, sélection Semaine de la critique. Festival de Varsovie 2025, mention spéciale du jury oecuménique.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
La première scène de film est magistrale, en trois minutes la vie de Nino est «comptée». Il était juste venu consulter pour un petit mal de gorge et une grosse fatigue. Et s’ensuit l’annonce d’un papillomavirus, devenu un cancer de la gorge. Le médecin le lui annonce, implacable, sans préparation. Il l’apprend là, seul. Il a 29 ans, c’est bientôt son anniversaire. Dans trois jours, Nino devra affronter une grande épreuve. D’ici là, les médecins lui ont confié deux missions. Ces deux impératifs vont mener le jeune homme à refaire corps avec les autres et avec lui-même. Il y a des jours et des nuits à vivre, alors comment les traverser? Comment vivre l’anodin dans un moment exceptionnel de sa vie? Comment le dire à ses proches? Qui sera la «personne de confiance» qui voudra bien l’accompagner à l’hôpital ?

Pauline Loquès écarte tout suspense, on sait dès le début du film que Nino est malade. Optant pour une temporalité courte, elle choisit d’explorer ce qu’il se passe dans cet «entre-deux» fait de quelques jours et quelques nuits à traverser, alors que tout est remis en question mais que la vie autour, celle des autres, proches et anonymes, se poursuit. On devine le tumulte qui l’agite, les questions qui se bousculent. Mais c’est dans ce temps mort que surgira la vie.
En sortant de l’hôpital le vendredi, Nino s’aperçoit qu’il a perdu ses clés. Il va donc errer entre solitude et pensées dans Paris. N’osant pas avouer son cancer à son entourage, il va devoir gérer, ballotté par une suite de bizarreries du destin, plus ou moins tragiques, deux journées mouvementées ainsi qu’ un repas avec sa mère, une soirée d’anniversaire organisée en son honneur par son meilleur ami, les retrouvailles avec une ancienne camarade de collège et une mère célibataire qui semble éprouver des sentiments pour lui. On découvre avec Nino les petits et grands moments de ces jours d’attente avant le début de son traitement. Ces échanges sont ce qu’il y a de plus lumineux et subtil dans le film.
Perdu entre son désir de solitude et un besoin viscéral de connexion avec les autres, la réalisatrice filme avec justesse la perte de repères de Nino, mais aussi son regard qui s’ouvre brusquement sur le monde, Nino se redécouvre au fil de rencontres et d’introspections. Malgré lui, il va se connaître dans une lumineuse odyssée initiatique et introspective. En cela, le film se métamorphose en une histoire d’éveil: à soi comme aux autres. Incertain dans son existence, sensible et «pratiquement aérien», sa mère lui confiera, à un moment dans le film, «On aurait dit que tu voyais tout mais que tu ne regardais rien». Comme s’il n’avait jamais réellement pris possession de son destin et de sa vie adulte. Nino se retrouve à un moment charnière de son existence, confronté à la mort potentielle, mais surtout à la vie :celle qui continue et celle qu’il n’a peut-être pas assez vécu. Ce récit sobre trace des lignes directrices vers un affrontement et canalise toutes les énergies nécessaires pour le mener à bien.

Évitant (à part dans le premier quart d’heure) le caractère documentaire sur l’aspect médical de son sujet, la réalisatrice s’attarde davantage sur les effets touchant le comportement du jeune homme, et les réactions de ses proches. La réalisatrice donne une tonalité souvent légère à ses scènes et dialogues. Elle capte la sidération, la fébrilité puis l’élan qui traversent son personnage. Des scènes d’intimité émouvante traitent aussi de la paternité.
Le respect de l’unité de temps, la limpidité du récit et l’équilibre subtil entre les séquences d’intérieur et d’extérieur traduisent un réel sens de la dramaturgie et de la mise en scène. La galerie des personnages dessine une humanité touchante, faillible, maladroite quand il s’agit d’accueillir la nouvelle ou d’accompagner Nino. Le film doit aussi beaucoup à ses comédiens, dont Jeanne Balibar, et Théodore Pellerin, dans le rôle-titre. Il est admirable et son jeu lunaire et sensible, tout en retenue et sobriété, est un atout du film. La relation avec sa mère s’avère être le point central de son existence.
Le scénario du film comporte également une dimension philosophique et livre une réflexion intéressante sur la question de la mort. Mais à travers ses rencontres, Nino bien que hanté par le spectre de la mort, trouvera la force de s’accrocher à la vie. On sent une atmosphère « suspendue » qui enveloppe les étapes décisives d’une vie.
Philippe Cabrol.
Au Festival international de film de Varsovie (Pologne), le jury oecuménique a décerné une mention spéciale à ce film, avec la motivation suivante : Nino vient de fêter ses 29 ans et apprend lors d’un examen médical qu’il est atteint d’un cancer et nécessite un traitement urgent. Nino dispose de trois jours durant le week-end pour se préparer et trouver quelqu’un pour l’accompagner à sa première séance de chimiothérapie. Le premier long-métrage de la réalisatrice captive les spectateurs grâce à son acteur principal canadien Théodore Pellerin et à un style cinématographique d’observation délicate. Lors de son voyage de trois jours à travers Paris et ses paysages urbains, Nino est partagé entre désespoir et stoïcisme. Il rencontre de nombreuses personnes qui ont elles aussi leur propre destin à porter et, comme lui, ont du mal à communiquer. Une histoire tournée vers la compassion et une grande humanité, dans laquelle il existe de véritables amis, de la tendresse et de la compréhension mutuelle.
Les membres du jury oecuménique 2025 : Chantal Laroche Poupard (France), père Jarosław Raczak (Pologne), Holger Twele (Allemagne).

