Il y a 25 ans, dans une Chine qui s’éveille subitement au nouveau siècle, deux amants se retrouvent pris dans les marées d’un pays en pleine mutation.
LES FEUX SAUVAGES de Jia Zhang-ke. Chine, 2024, 1h51. Avec Zhao Tao et Li Zhubin. Festival de Cannes 2024, compétition officielle.
Critique de Pierre-Auguste Henry, SIGNIS France
Qiaoqiao (Zhao Tao) vit une passion amoureuse avec Bin (Li Zhubin), mais ce dernier quitte la ville par ambition professionnelle. Dans un pays à la prospérité soudaine, tous les espoirs sont permis – y compris celui qui pousse Qiaoqiao à partir à la recherche de son amant à travers les villes nouvelles pendant plus de deux décennies. Les Feux sauvages est une œuvre inédite bien que composée largement de petits bouts des films précédents de son auteur, un collage d’extraits aux formats variables, filmés il y a des années et remontés dans un nouveau film avec de nouveaux personnages.

Jia Zhang-ke, figure du cinéma chinois et habitué des grandes fresques à travers les époques, livre une nouvelle fiction qui veut documenter tout ce qui a changé à vitesse grand V depuis le nouveau siècle dans son pays. C’est sans doute ce qui explique l’omniprésence de la musique, mélange renversant de chansons traditionnelles, variété chinoise et electro internationale qui composent les références culturelles d’une seule et même génération.
Certains reconnaîtrons avec plaisir un bon nombre des précédents films du cinéaste, mais le nouveau « tout » formé par ce remontage finit par dépasser l’émerveillement technique provoqué par le réagencement de scènes connues ça et là et reconnectées dans un nouveau récit. L’ouverture culturelle, les innovations technologiques et l’urbanisme dévorant de la Chine entre l’an 2000 et aujourd’hui est un fonds scénaristique qui fascine Jia Zhang-ke, quel que soit le genre de cinéma visé.
La romance des Feux sauvages profite de cette ampleur dans le temps et l’espace, qui fait voyager le spectateur de la relativement petite ville de Datong à la mégalopole Guangzhou, en passant par le barrage des Trois-Gorges. Le film suit Qiaoqiao à la poursuite de Bin mais l’on y croise aussi tout en tas de gens en déplacement, sur les routes et dans les trains, sans savoir de quelle façon cette époque spéciale les a amenés eux aussi à poursuivre quelque chose ailleurs.

C’est en avion que Qiaoqiao revient à Datong pour la dernière partie du film, dans des images cette fois entièrement inédites, et assez futuristes. Ce dernier acte dans un futur proche vient clore un grand tour d’un pays ayant connu une mutation exceptionnelle en un quart de siècle, tout comme les deux personnages balayés par les marées indomptables auxquelles faisaient référence le titre provisoire – Caught By The Tides – sous lequel le film avait été présenté en compétition au dernier Festival de Cannes.
Pierre-Auguste Henry