Quelle vie pour les jeunes en milieu rural ? La réalisatrice filme avec subtilité un passage chaotique à l’âge adulte dans les villages paysans du Jura. Un film lumineux et des personnages attachants.
VINGT DIEUX de Louise Courvoisier. France, 2024, 1h30 Avec Clément Favreau, Maïwene Barthélemy, Luna Garret, Mathis Bernard . Festival de Cannes 2024, sélection Un Certain Regard.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
Le film s’ouvre avec une fête de village, c’est l’été, il fait chaud, l’ambiance est au comice agricole avec vaches et chevaux et la caméra virevolte entre les stands jusqu’à la buvette où, avec l’arrivée du tonneau de bière, Totone monte sur le comptoir pour une chanson paillarde. Petit gabarit, cheveux de paille, c’est un tout jeune homme aux doigts sales, à l’allure désinvolte, prompt à rendre les coups et à ne prendre que les mauvaises décisions.
Totone est à l’image de son surnom, ridicule et attachant. Sous un gros soleil d’été, il mène ses journées avec insouciance et deux copains proches, allant boire des bières dans les fêtes de village, draguer les filles et provoquer des bagarres. Le destin et un accident de la route après une soirée trop arrosée, vont casser la légèreté de son existence et précipiter son arrivée chaotique dans l’âge adulte.
Accompagnée par le travail du chef opérateur Elio Balézeaux, la réalisatrice construit un film lumineux, alternant les gros plans sur les visages et les traversées de paysages, un film ancré dans une région où il y a encore du bétail, des tournées pour récolter le lait, des entreprises pour faire du fromage. L’accent des personnages est rugueux, comme leur caractère, et ils n’ont pas les mots pour dire leurs sentiments, leurs chagrins, leurs espérances. Avec un soin particulier accordé aux cadres, aux couleurs et aux déplacements, Louise Courvoisier fait du beau cinéma, sans arrogance et avec une pointe (pinte ?) d’humour.
Notamment dans la rencontre amoureuse entre Totone et Marie-Lise où les deux jeunes gens, sidérés par l’émotion sensuelle qui les submerge, jettent maladroitement des mots en direction de l’autre. Totalement dépourvue de romanesque et d’érotisme, c’est pourtant une véritable histoire d’amour. Les dialogues de séduction ressemblent à des piqûres de guêpe. Si, dans ce milieu-là, on ne sait pas parler de sentiment, d’amitié, d’amour ou de deuil, on a quand même le cœur qui bat fortement.
C’est en essayant de faire du fromage à l’ancienne, en cherchant les bons ingrédients, la température exacte et les gestes précis, que Totone, comme le comté, va s’affiner. Jolie idée de la réalisatrice de mener son récit en faisant cheminer la lente transformation de son personnage avec la cuisson délicate de la pâte cuite au chaudron. C’est aussi la qualité du lait qui le mène jusqu’à Marie-Lise, si maladroitement mais si sûrement. Avec la découverte de l’amour, celui du corps qui, accompagné de celui du cœur, devient une vraie grâce, Totone mûrit, et le comté s’affine.
Louise Courvoisier, pour ce premier long-métrage, s’est appuyée sur ce qu’elle connaît, le village de son enfance et ses habitants. Tous les acteurs sont des non-professionnels, des jeunes et des moins jeunes de la région, qui donnent son authenticité à l’ensemble, sans tomber dans le folklore. Aucune lourdeur dans le scénario, une mise en scène jamais redondante, ni explicative, et les cadres sont toujours très beaux. Comme dans la scène où Totone et sa petite sœur réussissent leur première cuisson : la lumière du plein air, la couleur des vêtements, la blancheur veloutée du lait et le doré du chaudron en cuivre, en font un pur bonheur de cinéma.
Magali Van Reeth