MédiasLes Chroniques CinémaNOUVELLE VAGUE de Richard Linklater

NOUVELLE VAGUE de Richard Linklater

Comme son nom l’indique, le film se penche sur la genèse d’une des plus célèbres générations de cinéastes de l’histoire, et plus particulièrement sur celle du film le plus emblématique du mouvement : A bout de souffle de Jean-Luc Godard, sorti il y a 65 ans. Linklater s’emploie, ici, à retranscrire, à reconstituer même, le tournage devenu légendaire d’un film qui l’est encore plus. Que l’on adhère ou soit réfractaire au style Godard, et même si on ne l’a pas vu, tout le monde connaît A bout de souffle.

NOUVELLE VAGUE de Richard Linklater. France, 2025, 1h46. Avec Guillaume Marbeck, Zoey Deutch, Aubry Dullin, Adrien Rouyard, Bruno Dreyfürst. Festival de Cannes 2025, compétition officielle.

Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France

Comment inventer une forme cinématographique pour parler de celui qui ne cessa de les inventer, de les questionner, de repousser leurs limites ? Linklater relève ce défi admirablement, en faisant preuve de beaucoup malice. Les débuts de Godard et le tournage d’À bout de souffle sont très documentés. Le réalisateur a puisé dans les livres, les biographies, les critiques du futur cinéaste, ses interviews, pour élaborer son scénario et nourrir les dialogues. Et ce qui est fou, c’est de voir à quel point, à l’époque, la méthode de travail de Godard était révolutionnaire et terriblement audacieuse.

 Richard Linklater n’est pas intimidé par son sujet, notamment parce que ce n’est pas Godard seul qui l’intéresse mais sa jeunesse, sa désinvolture, son insolence et tout ce que cela dit d’une époque et d’une manière de faire du cinéma. Le réalisateur raconte, dans l’ordre des événements, une fabuleuse série d’épisodes qui reconstituent sur 20 jours, jour par jour, le tournage d’A bout de souffle : des lieux sont revus ainsi que certaines scènes cultes. Il montre aussi les partis pris de ce tournage extraordinaire, sans scénario écrit à l’avance, sans lumière artificielle, sans maquillage, sans horaires fixes.

Le film donne l’impression de faire du Godard mais la méthode est très différente. Si ce dernier ne savait jamais à l’avance ce qu’il allait filmer, dans Nouvelle Vague on sent un vrai cahier des charges. L’écriture des dialogues, pleine de vitalité, donne un rythme incroyable au film. Les répliques fusent, et l’on regarde ces « légendes » interagir avec un vrai plaisir. Le film n’est pas un pastiche, ni même un plagiat assumé.

Davantage que le portrait d’un homme et de son art, Richard Linklater brosse celui de toute une génération de cinéastes qui ont bouleversé l’histoire du 7e Art. Il ressuscite l’état d’esprit qui a infusé cette période cinématographique foisonnante, symbolisée par une liberté de ton, d’improvisation, et par un d’attachement à la poésie du quotidien.

Le film pose aussi des questions essentielles sur la fabrication d’un long-métrage, ses obstacles et ses miracles, ses contradictions et ses évidences. Le réalisateur signe une sublime déclaration d’amour au 7° art.

Le film n’est jamais didactique, mais permet de comprendre, dans la joie, l’essence de cette Nouvelle Vague : moins de moyens, plus de liberté, moins de studio, plus de rue, moins de dialogues figés, plus de vérité. Linklater s’approprie lui-même les codes qu’il revisite : caméra à l’épaule, noir et blanc, montage heurté, ruptures de ton. Derrière sa légèreté apparente, Nouvelle Vague raconte aussi les doutes, les tensions, les paris fous qu’impliquent toute création.

Dans un noir et blanc qui semble d’époque, en format 4:3, le film, « voyage dans le temps du cinéma », se déroule dans un Paris reconstitué avec une grande minutie, tout en assumant une esthétique de citations. Nouvelle Vague est aussi un pur plaisir esthétique. Il est d’une beauté et d’une élégance intemporelle qui représente bien les années 1960 avec ses décors parisiens, ses bistrots, ses voitures, ses costumes et le jazz. Tout respire la liberté et la classe des Sixties, là où le cinéma s’est émancipé. La photographie de David Chambille restitue la matière des pellicules d’époque. En s’intéressant aux coulisses d’À bout de souffle, Richard Linklater n’entend pas décortiquer le chef-d’œuvre français mais plutôt rendre hommage à la liberté créative d’un temps et d’un mouvement.

Le casting est l’un des grands atouts du film. Guillaume Marbeck campe un Jean-Luc Godard ambigu, intellectuel et désaxé, à la fois drôle et glaçant, mais convaincant. Face à lui, Zoey Deutch incarne une Jean Seberg troublante, lumineuse, dans un rôle tout en nuances. Aubry Dullin dans le rôle de Belmondo, Adrien Rouyard (Truffaut) et Roxane Rivière (Agnès Varda) complètent une distribution à la fois respectueuse et distancée des figures mythiques de la Nouvelle Vague dont le film propose d’ailleurs une incroyable galerie de personnages.

Richard Linklater signe une œuvre soignée, un film élégant et poétique, fluide et joyeux. Projet audacieux et métacinéphile, déclaration d’amour malicieuse au premier film culte de Jean-Luc Godard mais aussi à cette période charnière du 7e Art, Nouvelle Vague est un long-métrage vivant, virevoltant, malin et tellement beau.

Philippe Cabrol

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