Avec ce thriller captivant, Nader Saeivar réalise un film politique qui dénonce les agissements du régime islamique dans son pays, à travers le destin de trois femmes : une grand-mère résistante, sa fille danseuse et sa petite-fille. C’est une œuvre âpre et forte en écho direct au mouvement Femme, Vie, Liberté en Iran.
LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP de Nader Saeivar. Iran/Allemagne , 2024/1h40. Avec Maryam Boubani, Nader Naderpour, Abbas Imani, Ghazal Shojaei. Mostra de Venise 2024, section Orrizonti.
Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France
Dans ce drame, le réalisateur met en scène le quotidien d’une famille dans le contexte de restriction des libertés individuelles, surtout celle des femmes, et de répression massive dans son pays après les manifestations de septembre 2022. La Femme qui en savait trop mêle avec intelligence l’intime et le politique, en intégrant à la fiction l’histoire récente de la dictature des mollahs et le mouvement Femme, Vie, Liberté.

C’est par une belle séquence riche en sous-entendus que commence le film. Des femmes sont assises, vêtues de noir sur fond noir. Une jeune fille se lève et commence à danser. La caméra la suit et l’accompagne alors qu’elle rejoint cinq jeunes femmes en tenue blanche et trois en tenue rouge qui dansent sur un fond d’un blanc immaculé. La caméra suit ensuite une autre danseuse vêtue de noir qui retourne du côté sombre de la pièce.
La danse est d’ailleurs le fil rouge de cette œuvre, elle est la cause du drame qui se joue dans le couple de Zara. La danse représente dans ce film un défi, une arme contre les violences et l’injustice. Elle est aussi forme d’art et symbole d’émancipation de la jeune génération. En effet ce long-métrage dénonce des événements fictifs et montre bien la pression psychologique qu’exercent surtout les hommes, mais aussi des femmes restées enfermées dans une idéologie et qui imposent à d’autres citoyennes de porter le voile lorsqu’elles sont dans la rue.
Professeure et syndicaliste, Tarlan s’occupe comme une mère de Zara depuis que celle-ci a perdu ses parents. Cette dernière et sa fille aiment danser et montrent leur talent sur les réseaux sociaux. Cela déplaît fortement au mari de Zara, un homme influent qui n’hésite pas à la rouer de coups pour que celle-ci soit plus discrète. Un jour Tarlan est témoin d’un meurtre commis par une personnalité influente du gouvernement. Elle le signale à la police qui refuse d’enquêter. Elle doit alors choisir entre céder aux pressions politiques ou risquer sa réputation et ses ressources pour obtenir justice.
À travers le portrait de Tarlan, femme mûre et engagée dans le combat syndical et la défense des droits des femmes, le cinéaste décortique un système et ses méthodes. On découvre un pouvoir qui s’exerce à tous les niveaux, autant dans les lieux publics que dans la sphère privée. Le film montre à quel point les personnes qui résistent sont en permanence sous surveillance, celle exercée par le pouvoir et sa police, mais aussi celle, plus sournoise, de citoyens, parfois jusqu’aux membres de leur propre famille, au service du régime.

La Femme qui en savait trop est un magnifique film, d’une grande puissance qui montre la difficulté pour une femme de faire entendre sa voix dans un pays où la justice n’est pas la même selon les individus. Cependant la résistance s’organise, la solidarité se renforce. Les jeunes générations réagissent dans le contexte tourmenté de l’Iran dont le gouvernement s’est encore plus radicalisé à la suite des bombardements israéliens de 2025. L’hypocrisie des élites ne trompe plus personne. Et il leur est impossible de faire taire toutes les voix qui s’élèvent.
La mise en scène est extrêmement soignée. L’interprétation de Maryam Boubani (Tarlan) est remarquable et d’une justesse superbe. Elle offre un magnifique portrait de femme au grand cœur.
Signalons que le prénom Ghazal, qui est la fille de Zara et qui est chargée par sa mère de lancer la musique qui va permettre aux danseuses d’exprimer leur art, trouve son origine dans la poésie classique arabe et persane. Ce prénom peut se traduire par poésie d’amour mais également chant d’amour. Le ghazal est également un genre musical très populaire en Iran, mais aussi en Afghanistan, au Pakistan et en Inde.
Résonnant comme une œuvre politique puissante, ce film a obtenu le Prix du Public Orizzonti Extra Venise 2024. Le scénario écrit à quatre mains par Jafar Panahi et Nader Saeivar a été tourné clandestinement en Iran avant que Nader Saeivar quitte son pays pour Berlin.
Philippe Cabrol

