Cette histoire sentimentale pourrait sembler classique avec une issue presque prévisible – un homme et une femme se sont aimés, se sont quittés, se retrouvent et se séparent – et pourtant elle est d’une originalité étonnante, tant par l’interprétation subtile des deux protagonistes, que par la beauté d’images de ce paysage « hors saison ».
HORS SAISON de Stéphane Brizé. France 2024,1h 46. Avec Alba Rohrwacher, Guillaume Canet, Sharif Andoura, Emmy Boissard Paumelle, Emmanuelle Taulet, Marie Drucker
Critique de Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France
Matthieu, au bord du burn out, arrive dans un luxueux établissement de thalassothérapie d’une petite ville de la côte ouest de la France ; acteur de cinéma de premier plan, il (Guillaume Canet) vient de s’échapper des répétitions de son rôle principal à quelques jours de la première représentation théâtrale. Il se retrouve propulsé dans des séances de massages et bains moussants tandis que la culpabilité d’avoir tout plaqué le rattrape ; son metteur en scène hors champ le traite de lâche tandis que sa femme, restée à Paris, interprétée par la voix off de Marie Drucker, lui téléphone et tente maladroitement de le secouer afin qu’il surmonte son mal-être, son incapacité à faire quoique ce soit y compris de lire des scénarios qui lui sont confiés. Il s’en suit de longues séquences de la langueur de ce temps d’ennui profond qui s’étire dans la tristesse et dans l’errement de sa mélancolie. Pourtant Stéphane Brizé, rappelant le film de Jacques Tati Les Temps modernes, offre dans cet espace aseptisé de cet établissement de thalassothérapie quelques séquences burlesques, comme celle de la machine à café trop moderne, trop luxueuse, trop incontrôlable.
Incontrôlable aussi est le sourire de Matthieu quand il reçoit une lettre de Alice ; Matthieu avait quitté Alice la laissant, une quinzaine d’années plus tôt, « en vrac ». Alice a refait sa vie, s’est mariée, a eu une fille, donne des leçons de piano et habite dans cette petite ville tranquille de bord de mer.
Les deux anciens amants se retrouvent, est-ce « par hasard ? ». Les cœurs et corps de braises encore incandescentes se réveillent. Matthieu retrouve la beauté sage et lumineuse de Alice, si subtilement interprétée par Alba Rohrwacher, superbe ; Alice a ce léger accent italien plein de charme ; elle sait exprimer de façon sensible et sagace la joie de revoir cet homme, mais aussi la rancune de sa souffrance passée, ses regrets enfouis et la nostalgie de son piano qui la console.
Guillaume Canet dans le rôle de Matthieu livre ici toute sa sensibilité réservée et secrète. La bande-son choisie avec perspicacité par Vincent Delerme traduit l’ambiguïté du « ni avec toi, ni sans toi ».
Les sentiments des anciens amants sont perceptibles et incontrôlables tandis que, dans le grand angle de la caméra en plongée, ils marchent si fragiles et si petits sur l’immensité « hors saison » de l’estran désert. La caméra semble aussi plonger dans les vagues déchaînées qui battent les rochers de ce décor naturel sublime de la Côte Sauvage, tandis que Matthieu contemple ce spectacle : on se croirait dans le tableau du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich, L’homme contemplant une mer de brume / Der Wanderer über dem Nebelmeer.
Stéphane Brizé laisse ici de côté le cinéma social illustré par sa trilogie La Loi du Marché, En Guerre, Un Autre monde et renoue avec ses comédies dramatiques, Je ne suis pas là pour être aimé, Mademoiselle Chambon pour réaliser ce superbe film romantique Hors Saison, présenté à la Mostra de Venise 2023.
Chantal Laroche Poupard