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SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT de Johan Grimonprez

Ce film riche, dense et créatif est une page de l’histoire politique et musicale des années 1960, dans une ambiance de guerre froide, lorsque les pays d’Afrique prenaient leur indépendance et que les pays occidentaux assistaient à l’émergence des non-alignés. Quand le jazz fait de la politique, les chefs d’état battent-ils la mesure ?

SOUNDTRACK TO A COUP D’ETAT de Johan Grimonprez. Belgique/France/Pays-Bas, 2023, 2h30. Documentaire.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

Rarement la musique d’un film a été aussi bien utilisée pour mettre en lumière la mise en scène et rarement une bande son a eu une portée aussi politique… Le réalisateur Johan Grimonprez construit son documentaire autour de l’assassinat de Patrice Lumumba, premier ministre du Congo au moment de son indépendance, en accompagnant les séquences historiques et politiques par des morceaux de jazz joués par des musiciens noirs des Etats-Unis d’Amérique. Autour des grands noms du jazz – dont Louis Armstrong, Nina Simone, Dizzi Gillepsie – on retrouve ceux qui ont occupé le devant de la scène politique – dont Nasser, Fidel Castro, Eisenhower, Malcom X, Nehru, Kwame Nkrumah.

Ce film touffu s’appuie sur un remarquable travail de documentation et de recherche dans les archives de plusieurs pays et institutions internationales, archives audio, vidéo, échanges de correspondance autrefois classées secret défense et aujourd’hui accessibles. On trouve aussi des films super 8 de souvenirs de famille, des photos, des coupures de journaux, des extraits de romans d’auteurs africains ou d’essais retraçant le chaos de la décolonisation. Cette confrontation entre l’intime et l’Histoire était essentielle pour le réalisateur, comme d’utiliser la musique en contre point des discours politiques, comme jouer des mélodies et du silence.

Des personnages émergent autour de Patrice Lumumba et guident le spectateur dans cette jungle politique : le romancier In Coli Jean Bofane, à la fois congolais et belge, Andrée Bloin, elle aussi métisse, femme politique et militante. On découvre la rouerie du premier ministre belge de l’époque, Gaston Eyskens, la main mise du président Eisenhower sur les Nations unies et l’humour de Nikita Khrouchtchev, alors premier ministre de l’URSS.

Pour mettre en scène cette extraordinaire collectes d’archives, le réalisateur colorise légèrement certaines scènes, dans des tonalités soit sépia soit bleutées, selon les ambiances voulues. Pour inscrire le nom des différents personnages à l’écran, il utilise la typographie des pochettes de disques de jazz des années 1960. Ces détails montrent combien ce documentaire est aussi une œuvre de pur cinéma.

Le film dure 2h30 et il faut bien cela pour absorber complètement la superbe bande son et les choix d’extraits musicaux qui rehaussent les images à l’écran, et le constat peu réjouissant de toutes les tractations financières et politiques, toutes les trahisons et les crimes qui ont engendré la chaos et la guerre qui sévit toujours dans cette région du Kivu. Une province riche en terres rares permettant la fabrications de nos téléphones portables et voitures haut de gamme, convoitée par de grands groupes financiers qui arment des milices meurtrières. Ces miliciens ont fait du viol des femmes une arme de guerre, comme le montre le film Muganga, celui qui soigne de Marie-Hélène Roux, dont l’action principale se passe aussi en République démocratique du Congo.

Entre concert, album de famille en noir et blanc et leçon d’histoire revisitée, le documentaire Soundtrack of a coup d’état est un film chaleureux par la forme et glaçant sur le fond. Il se clôt magistralement avec un dernier chant d’Abbey Lincoln, cri de douleur et d’espérance.

Magali Van Reeth

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