MédiasLes Chroniques CinémaL'HOMME D'ARGILE d'Anaïs Tellenne

L’HOMME D’ARGILE d’Anaïs Tellenne

Par son premier long métrage Anaïs Tellenne livre une belle œuvre créative dont le personnage principal, Raphaël, est le gardien d’un manoir en désuétude. Cet homme simple, force de la nature, borgne et musicien tout à la fois, va devenir le modèle d’une artiste désespérée. Un film profondément émouvant sur la force du regard des autres et sur la création artistique.

L’HOMME D’ARGILE d’Anaïs Tellenne. France, 2023, 1h34. Emmanuelle Devos, Raphaël Thiéry, Mireille Pitot, Marie-Christine Orry

Critique de Patrick Lauras, SIGNIS France

L’histoire nous est contée de son point de vue de Raphaël – joué par Raphaël Thiéry qui crève l’écran comme toujours. Homme simple et réfléchi, il souffre de son physique, prend soin des autres et du domaine. Un juste, caché derrière sa laideur apparente, qui sortira à la fois grandi et blessé de ce qui est peut-être une parenthèse dans sa vie. Hommage aux gens simples et aux cœurs purs. Hommage aux modèles aussi, que l’on oublie souvent derrière l’artiste et son œuvre. Il y a de la propre vie de l’acteur dans ce qui nous est conté, et c’est sans doute ce qui contribue à l’émotion que Raphaël Thiéry communique.

Entre Raphaël et Garance naît la complicité des faibles qui s’épaulent. Garance, interprétée par Emmanuelle Devos, sobre et taciturne. Une personnalité complexe, artiste bourgeoise dont l’œuvre ultra-moderne ne saurait plaire à tous, blessée et dépressive on ne saura pourquoi. Elle reprend pied grâce à Raphaël, c’est le mystère de l’inspiration créatrice. C’est une histoire d’amour impossible, tant ces deux êtres sont nés aux antipodes l’un de l’autre. Mais si elle aime son œuvre plus sans doute que son modèle, son regard sur Raphaël laissera une empreinte indélébile.

Le décor, le jeu des acteurs et la mise en scène distillent une ambiance mystérieuse – le manoir est ici un personnage à part entière. Le scénario a les atours d’un conte, mais la toile de fond est tout à fait réaliste et actuelle : c’est un tableau du Morvan et de la vie dans la France rurale d’aujourd’hui.

Les images (format 4/3) sont magnifiques avec des bleutés de pleine lune, des clairs obscurs aux lumières dorées dans l’atelier sculpture, des gros plans et très gros plans sur le visage de Raphaël, sur les mains sensuelles de la sculpteuse.  D’un rythme lent, le spectateur se laisse pourtant porter sans aucun ennui : sans doute la présence intense des acteurs, l’humour qui traverse le film, et le scénario qui égrène des surprises – avec même un beau retournement sur la fin. Et au sommet de cette mise en scène, il y a trois ou quatre séquences d’une grande originalité, somptueuses.

Patrick Lauras

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