MédiasLes Chroniques CinémaLA DOUBLE VIE DE VERONIQUE de Krzysztof Kieślowski, prix œcuménique Cannes 1991

LA DOUBLE VIE DE VERONIQUE de Krzysztof Kieślowski, prix œcuménique Cannes 1991

Prix du Jury œcuménique 1991, ce chef d’œuvre esthétique du grand cinéaste polonais Krzysztof Kieślowski n’a pas vieilli et mérite d’être revisité. Il faut se laisser porter par cette histoire surréaliste et profonde qui parle de destin, d’amour, du mystère de la vie tout simplement.

LA DOUBLE VIE DE VERONIQUE de Krzysztof Kieślowski. France/Pologne, 1991, 1h38. Avec Irène Jacob, Philippe Volter. Compétition officielle Festival de Cannes 1991, prix d’interprétation féminine et prix du jury œcuménique.

Critique de Patrick Lauras, SIGNIS France

Née en Pologne, Weronika a la grâce d’une voix sublime et le malheur d’une malformation cardiaque. Suite à un concours, elle est choisie pour participer à un concert. Un doute lui traverse l’esprit : « J’ai peur que ça ait été trop bien ». Mais elle poursuivra car chanter est son bonheur, arrêter serait contre raison… et c’est son cœur qui s’arrêtera. Son double Véronique, née en France, tout aussi douée sans doute, fera quelques temps plus tard le choix inverse, comme avertie en secret. « On n’a pas le droit de faire ça » dira son professeur de chant, mais elle tiendra bon.

Trilogie Trois couleurs bleu blanc rouge La double vie de Véronique

Le scénario impose progressivement une réalité : il y a bien deux Véronique qui n’ont aucune ascendance commune mais se ressemblent bien plus que par le visage. Un père seul et affectueux, un immense talent pour le chant, une maladie cardiaque, le plaisir de frotter un anneau d’or sur la paupière – et bien d’autres détails encore. Et le scénario toujours, distille doucement l’idée que la première influence la seconde.  « C’est difficile à expliquer, mais je sens toujours ce que je dois faire » dira Véronique.

S’il y a bien deux Véronique qui se ressemblent, la dimension mystérieuse et surréaliste proposée par Krzysztof Kieslowski prend largement le dessus. Faisant de cette fable une profonde suggestion de la part mystique, surnaturelle, spirituelle de nos vies. Chacun mettra les mots qui lui conviennent, interprétera comme bon lui semble : le réalisateur suggère – avec par exemple une l’allégorie de la chrysalide dans un spectacle de marionnettes – mais ne livre pas les réponses, laisse le spectateur libre de ses propres réflexions.

L’idée que « La beauté sauvera le monde » trouve ici peut être un de ses enfants, La Double vie de Véronique est une œuvre cinématographique sublime qui pourra nourrir chacun à sa façon. Beauté des images tout d’abord, imprégnées de bout en bout de lumières dorée aux reflets verts, prenant le temps de saisir les visages de Weronika ou de Véronique – Irène Jakob est à la fois rayonnante et mystérieuse. Beauté de certaines scènes, comme celle d’un spectacle de marionnette. Beauté de la musique originale de Zbigniew Preisner, avec une partition soprano suspendue et envoûtante, chant d’amour autant que veillée funèbre. Beauté de la narration enfin, poétique, allusive souvent, c’est un hymne à la vie et à l’amour tout simplement.

Trilogie Trois couleurs bleu blanc rouge La double vie de Véronique

Chaque partie commence et se termine par une scène d’amour – trois au total, élégantes et de plus en plus pudiques, comme si cet amour était là au commencement et à la fin, comme si la mort et l’amour se rejoignaient quelque part… Un amour absolu que Véronique poursuivra sans relâche après avoir abandonné le chant et l’amour d’un jour. La période française du film peut être comprise comme une longue variation sur les signaux faibles de l’amour, qui peuvent nous échapper, ou pas à l’instar de Véronique. Il y a le hasard, mais il y a les intuitions, les choix : on ne peut s’empêcher de penser à la belle parole du Deutéronome « Vois, je mets devant toi ou bien la vie et le bonheur ou bien la mort et le malheur ». Mystérieusement, Véronique se nourrit de l’expérience de Weronika pour choisir la vie… et la place sous le regard de son père, toujours étonné mais tendre et encourageant. Un père en qui l’on pourra aussi voir la figure du Père des chrétiens.

De par la richesse de ce film, les mots qui précèdent sont plus que jamais un ressenti personnel. A chacun de se dire, de dire : et vous, qu’avez-vous ressenti, que comprenez-vous ?

Patrick Lauras

La motivation du jury oecuménique : Pour son approche poétique de la vie de deux femmes qui, sans se connaître, réussissent à se communiquer intuitivement leurs expériences de vie en acceptant de suivre leur voix intérieure.

Les membres du jury œcuménique au Festival de Cannes en 1991 étaient : Yvan Stern (Suisse), Tjeu Van den berk (Pays-Bas), Marc Larchet (France), Christine von Walhert (FRG), Dominiek Slappnig (Suisse), Claude Roshem (France).

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