Porté par un superbe dessin, le film raconte le projet extraordinaire des parents de François : construire un bateau pour faire le tour du monde. Une belle aventure pour faire famille, et le récit d’une enfance, entre rêves et réalité.
SLOCUM ET MOI de Jean-François Laguionie. Luxembourg/France, 2024, 1h15. Film d’animation, à partir de 8 ans. Festival international du film d’animation d’Annecy 2024.
Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France
L’action est racontée par François, 11 ans et un regard curieux sur le monde qui l’entoure, même s’il ne comprend pas tout. Nous sommes juste après la fin de la Deuxième guerre mondiale, sur les bords de la Marne. Tout n’est pas encore simple et il y a des tickets de rationnement pour se nourrir mais on sent un vent de liberté et de légèreté dans le petit village où habite la famille. Son père, Pierre, est un homme taiseux à qui son fils ne sait pas comment parler. Lorsqu’il entreprend de construire un bateau dans son jardin, le père et le fils partagent enfin un projet commun, cette ébauche de rêve qui donne envie de se lever chaque matin.

La voix off de François suit cet étonnant chantier pendant plusieurs années, tantôt passant les outils à son père, tantôt s’échappant pour aller vivre ses propres aventures au bord de la rivière. Il dévore les récits de navigateurs, comme celui de Slocum, le premier a avoir réalisé un tour du monde en solitaire. Le film alterne ces deux récits de voyage, avec une pointe d’humour et où les incidents, ou les accidents, sont pour François une prise de conscience du monde qui l’entoure et lui permettent de porter un autre regard sur ses parents.
Comme souvent dans les films de Jean-François Laguionie, le graphisme est un enchantement. Tout en dessin et en aquarelle, les décors, même les plus sombres, ont une transparence qui ouvre à la douceur et à l’imagination. Peu de couleurs vives mais toujours de la lumière, sur les robes de la mère ou aux fenêtres de la maison familiale. Si l’animation des personnages n’a pas l’aisance du numérique, la simplicité des traits et des mouvements les rend plus proches et plus émouvants. Les bords de Marne où François rêve au passage des péniches, comme les tramways qui lui permettent de s’échapper vers la grande ville, ou les récits de navigateurs, donnent au récit sa fluidité, comme ils nourrissent l’imagination du jeune homme, et son désir de participer au monde.

La mise en scène s’appuie aussi sur une bande-son finement travaillée : le bruit à la fois mat et métallique des clous enfoncés dans la charpente du bateau, les roues du vélo de François, le café versé dans les bols du petit-déjeuner, la musique des guinguettes sur les berges de la Marne, le moteur de la 4Chevaux ou, plus discrètement, le frottement des cartes de navigation glissées sur la table. Rythmé par la musique de Pascal Le Pennec, le récit prend corps par les voix des comédiens (Elias Hauter, Coralie Zahonero), même s’il faut attendre longtemps avant de découvrir celle du père (Grégory Gadebois).
A travers le regard de l’enfant, on découvre la personnalités des parents, ce couple complice dans leur désir de construction, même si, tel l’Oblomov du roman de Goncharov, leur petit jardin clos est un espace suffisant pour rêver d’un tour du monde, et recommencer encore. Par la maladresse et la tendresse familiale qu’il évoque, Scolum et moi célèbre les petits bonheurs quotidiens et la joie des grands projets réalisés à plusieurs.
Magali Van Reeth