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DAAAAAALI ! de Quentin Dupieux

Réalisateur autodidacte, inclassable, stakhanoviste de l’absurde, Quentin Dupieux nous propose son nouveau film autour de la figure du peintre surréaliste Salvador Dali.

DAAAAAALI ! de Quentin Dupieux. France, 2023, 1h17. Avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Edouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Didier Flamand, Romain Duris. Présenté hors compétition à la Mostra de Venise 2023.

Critique de Philippe Cabrol. SIGNIS France

Si c’est la première fois, en treize longs métrages, que le cinéaste représente un homme ayant réellement existé, insistons sur le fait que ce n’est pas un biopic habituel. Si Daaaaaali est un «non-biopic» selon l’expression de Dupieux, c’est parce que ce film va à rebours de toutes les conventions du biopic. Le cinéaste ne s’intéresse ici ni à la linéarité biographique, ni à la présentation de la vie de Dalí, ni à l’explication de son œuvre. Dupieux a cherché à éviter plus que tout le piège du grand sujet, en se connectant à l’esprit de Dalí, et en réalisant un film centré sur le personnage et reproduisant la mécanique délirante de son esprit. Si les peintures de Dali sont évoquées et montrées dans le film, celui-ci s’attache davantage à la personnalité provocante de l’artiste. Les histoires s’entremêlent, les répliques absurdes fusent et la magie se réalise. C’est un film cocasse et jubilatoire.

Une ex-pharmacienne devenue journaliste décide de partir à la rencontre de Dali pour d’abord écrire un article, puis faire un documentaire. Son producteur lui accorde une caméra  »énooorme » qui ne manque pas d’exciter la star, mais tout un tas d’obstacles vont perturber son projet. La jeune héroïne naïve va donc se confronter à l’irréalisable, c’est-à-dire tenter de comprendre et définir le peintre espagnol à l’aide d’une interview, mais à chaque tentative celui-ci va lui  »glisser entre les doigts ». Les obstacles, qu’elle rencontre, semblent souvent sortis d’un rêve, comme ces curieuses tendances à faire du sur-place, à revenir en arrière, à faire des boucles.

L’inconscient amuse et interpelle sur le mythe de l’artiste. Avec Daaaaaali Quentin Dupieux passe au surréalisme baroque. Pour ce nouveau long-métrage, il a engagé 6 comédiens pour incarner le peintre Salvador Dali. D’ailleurs dans le titre du film Daaaaaali ! le nombre de A aaaaaa-llongeant le titre et repris 6 fois, représente les 6 comédiens qui jouent Dali.

Pisser dans un violon? Dites plutôt  »Pisser comme un piano ». C’est la première image de ce film : un jet d’eau coule d’un superbe piano à queue, surmonté d’un ravissant petit arbuste, au milieu d’une vaste plaine. Est-ce du Dalí ? Tout à fait, il s’agit même d’une citation de la Fontaine nécrophilique, tableau réalisé en 1932.  »Ouvrir le film par ce tableau c’est une façon de ramener le spectateur à son œuvre et de donner les règles du jeu. De prévenir les spectateurs : on entre dans un monde où les pianos sont des fontaines infinies, où poussent des arbres, sur fond de paysage doré » explique le cinéaste. Mais dans ce long métrage le tableau est légèrement en mouvement, et l’on entend l’eau couler.

Quentin Dupieux et le peintre ont beaucoup de choses en commun. Aussi n’est-il pas étonnant de voir le cinéaste utiliser le monde fantasmagorique de Salvador Dalí pour dresser un pont entre son univers cinématographique et les représentations artistiques du peintre et ainsi lancer un tel hommage au peintre, tout en s’amusant de la mégalomanie de cet artiste  »star ».

La mécanique surréaliste du film nous fera penser à Réalité où s’emboîtaient les inconscients et les troubles des différents personnages. Cependant depuis quelques films, Dupieux développe un travail artistique réactualisé, en entretenant l’imprévisible et l’inattendu, et livre une œuvre qui veut avant tout se montrer généreuse en terme de trouvailles délirantes, mais qui ne perd pas de vue une dimension sociale sous-jacente.

Sur Daaaaaalí ! Quentin Dupieux raconte qu’il était impératif que le montage soit un minimum créatif ainsi que les décors. Dupieux veut entraîner les spectateurs dans un imaginaire insolite. Il travaille également avec la musique de Thomas Bangalter qui fait décoller le film.  »Ce morceau de musique, décliné en plusieurs arrangements, contient tout ce dont j’avais besoin » écrit le cinéaste.  »L’Espagne, l’angoisse de la mort, la poésie, la fantaisie enfantine, l’obsession. Dalí est provocateur, d’un ego surdimensionné, pas forcément sympathique. Il est pathétiquement drôle, surtout. C’est un grand gamin malade. C’est son personnage qui m’intéresse, presque plus que son art lui-même. Il me fascine dans sa façon d’être et de s’éclipser, de toujours répondre à côté, de parler français, de se mettre en scène en étant insaisissable » ajoute le cinéaste.  »C’est cette liberté folle de l’artiste que je défends, en lui rendant hommage, ainsi qu’à Luis Buñuel. Personne, avant eux, n’avait eu cette idée d’un tel magma sans queue ni tête d’obsessions et de cauchemars ».

Dupieux invente donc un film qui  »n’a rien à dire », mais où chaque coupe, chaque cadrage, chaque élément de décor attire l’œil, l’excite, le surprend, le déplace. Les acteurs interprétant Dali s’échangent leur place au fil des coupes. Dans une même séquence, les corps changent, les voix s’altèrent, les comédiens se succèdent et réussissent à offrir différentes facettes de l’artiste toutes plus fascinante les unes que les autres. Le film est construit sur ce modèle d’idées : un couloir qui semble interminable, une scène à l’envers, des rêves dans le rêve, des films dans le film, des tableaux fous qui se révèlent hyper réalistes. Quentin Dupieux avoue  »être entré en connexion avec la conscience cosmique de Salvador Dali ».

Dupieux cite le cinéaste Luis Buñuel, le grand ami de Salvador Dalí. Ils ont d’ailleurs signé ensemble l’un des plus beaux et fondamentaux courts métrages de l’histoire du cinéma, Un Chien andalou. Daaaaaalí! est ainsi un vibrant hommage à l’esprit surréaliste et nous fait penser aux films de Bunuel : Cet Obscur objet du désir où l’héroïne est interprétée par deux actrices et leurs visages se succèdent sans justification ; les rêves emboîtés les uns dans les autres dans Le Charme discret de la bourgeoisie ; un fauteuil roulant de paralytique comme dans Belle de jour. Est-ce un hasard si un personnage féminin reproduit les merveilleuses intonations de Jeanne Moreau dans Journal d’une femme de chambre ?

Réfractaire à toute règle, le cinéma de Quentin Dupieux est nourri par une pluralité des genres, il fait émerger une forme d’absurde et d’étrangeté. Ses comédies font rire, intriguent et nous apparaissent comme des boutades sérieuses et ludiques. Son cinéma déstabilise et nous plonge dans un univers absurde, onirique et surréaliste, à l’image d’un jeu de pistes dans lequel le spectateur est à la recherche d’indices, de clins d’œil et de trouvailles. Ce réalisateur refuse de se prendre au sérieux tout en s’appliquant à travailler avec une grande rigueur. Il développe dans ses films un humour nous poussant à rire des incohérences de l’homme et de notre condition. En effet ses comédies questionnent l’absurdité et le tragique de la condition humaine, elles atteignent également leur finalité principale, celle de faire surgir un rire qui interroge notre représentation et notre conceptualisation du monde en lien avec notre subjectivité.

Pour Quentin Dupieux, le plus important reste ailleurs, comme il l’a expliqué en septembre dernier à la Mostra de Venise :  »Mon seul et unique but, c’est de vous divertir et de vous faire marrer intelligemment, dans des recoins un peu spéciaux et nouveau ».

Philippe Cabrol

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