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PATERNEL de Ronan Tronchot

Avec ce récit de tendresse et un personnage en plein doute, Ronan Tronchot réalise un drame interrogeant avec simplicité et humanité le sens de la vocation, autour du quotidien d’un prêtre dévoué à sa paroisse et apprenant une nouvelle qui va totalement le bouleverser.

PATERNEL de Ronan Tronchot, France, 2024, 1h32. Avec Grégory Gadebois, Géraldine Nakache, Lyès Salem, Anton Alluin, Jacques Boudet, Françoise Lebrun.

Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France

Simon est un prêtre dévoué et respecté dans sa paroisse. Louise, qu’il n’avait pas revue depuis son séminaire vient lui présenter Aloé, enfant de 11 ans, dont Simon est le père et lui demande de le reconnaître. Cette nouvelle va bouleverser le quotidien du prêtre. De souriant et épanoui, il devient accablé et intérieurement déchiré. Mais petit à petit, Simon va tisser des liens avec Aloé, enfant très curieux, qui pose beaucoup de questions : Pourquoi tout le monde t’appelle mon père et moi je ne peux pas t’appeler papa ? Les liens de plus en plus forts, personnels et intimes entre père et fils vont remettre en cause la vie bien établie de Simon et l’amener à réfléchir tant sur son dévouement à l’Eglise que sur sa place de père.  »C’est le passage d’une paternité spirituelle et théorique à une paternité physique et humaine » dit Ronan Tronchot.

En faisant une retraite au sein du corps clérical, le réalisateur trouve le point d’accroche pour mettre en perspective la notion de paternité et ce à travers la quête intime d’un prêtre se retrouvant par la force des choses à reconsidérer ses choix personnels. Le cinéaste Ronan Tronchot et Ludovic du Clary, scénariste, connaissent bien l’institution de l’intérieur. Ils se sont beaucoup interrogés sur ce qu’ils appellent la  »fonction sociale » du prêtre à travers la lecture d’ouvrages et d’articles de presse sur l’évolution de la place du catholicisme en France, par des rencontres et entretiens avec des prêtres, des laïcs. Ils ont eu la possibilité de séjourner une semaine dans un presbytère et ont ainsi pu voir et comprendre le fonctionnement au quotidien d’une paroisse.

Ronan Tronchot réalise un film respectueux, juste et attachant qui met en lumière les prêtres dévoués à leur communauté. Simon est un père au sens spirituel du terme. C’est un prêtre plein de sagesse, de fermeté, de douceur. Autant charismatique que bienveillant, sa porte est toujours ouverte pour ses fidèles. Le film expose fort bien le rôle et les fonctions d’un prêtre de paroisse, qui s’occupe à la fois d’une équipe, d’un budget, de relations publiques et politiques, tout en étant proche de ses fidèles dans sa fonction de guide spirituel.

Les questions posées dans ce long-métrage sont pertinentes. Lorsque l’on consacre son existence à aider son prochain, peut-on aspirer à une vie privée ? Simon peut-il assurer sa fonction de prêtre auprès de ses fidèles et assumer son rôle de père ? Comment concilier la paternité spirituelle d’une communauté et l’éducation d’un enfant ? Simon peut-il être un bon prêtre pour ses fidèles, et un bon père pour son enfant ? Les questions importantes de ce film se concentrent sur le cheminement intérieur de cet homme de foi.

Simon doit-il se taire, mentir, ou au contraire être en vérité avec lui-même et avec les autres, et notamment ses paroissiens et la hiérarchie de l’Eglise ?  »Mentir ne t’aidera pas » dit Amin, le vicaire, à Simon. Un verset de l’Évangile lu par Simon à sa messe d’adieu,  »La vérité vous rendra libres » (Jean 8, 32) résonne fortement pour Simon. Aussi annonce-t-il à ses paroissiens  »Je découvre la joie d’être père. Le doute a sa place, le mystère fait naître l’espérance. L’Eglise vous appartient, c’est à vous de la façonner » ajoute-t-il.

Le réalisateur met face à l’Institution Eglise des personnages en phase avec leur époque, que ce soit Louise, Aloé ou encore Marion, jeune femme en questionnement sur une éventuelle maternité. Les dialogues entre Louise et Marion ainsi que ceux entre Marion et Simon permettront à chacun de ces trois personnages d’évoluer. Pour le réalisateur, la confrontation de ces univers permet de mettre l’Eglise face à ses certitudes.

Le thème de la paternité est toujours présent chez ce réalisateur. Ce fut le cas dans ses courts métrages. Avec Paternel, son premier long métrage, le cinéaste met en valeur tant la figure de Simon, père que d’Aloé, fils. Simon se situe en père éducateur. Mais il sent qu’il a aussi un rôle à jouer au niveau de la transmission. A travers leurs relations, nous nous rendons compte que cette transmission se fait à double sens : père/fils et fils/père. Par ailleurs Aloé se positionne, à certains moments, dans une socialisation inversée, ainsi la scène où il initie Simon à des sujets environnementaux trouvés sur internet. La paternalisation, ce processus psychique au cours duquel un homme devient père, comme l’explique le psychiatre et psychanalyste Serge Lobovici, va t-il trouver sens chez Simon ? Il est aux côtés d’Aloé dans un processus d’accompagnement relationnel et de co-cheminement. Comme l’écrit Julien Chouvet  »on ne naît pas père, on le devient ». Cette pensée s’applique très bien à Simon. En “père présent”, il chemine vers la paternité en devenant père pas à pas. Simon va ainsi essayer de concrétiser sa fonction de père, tant par la différenciation que par l’implication.  »L’éducation n’est qu’un tissage de regards », écrit Christiane Singer, Paternel ne nous présente- t-il pas un lien qui unit Simon père et Aloé fils à travers le regard ? Ici, un regard qui fait grandir, un regard qui fait découvrir en filigrane celui de Dieu sur nous.

Paternel est autant un film sur la religion, sur la paternité que sur le mûrissement d’un choix et sur la vocation. C’est aussi un plaidoyer en faveur de la transformation de l’Église.

Philippe Cabrol

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