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WALK UP de Hang Sang-soo

Situé dans un immeuble où l’art occupe une place essentielle, l’histoire du film Walk Up est délimitée autour d’un réalisateur dénommé Byung-soo. Ce long-métrage déroule autant de tranches de vie qu’il y a d’étages et suit les déplacements de Byung soo, reflets de sa trajectoire professionnelle et sentimentale. Hong Sang soo transforme dans ce film le quotidien de cet immeuble en un puzzle de relations humaines familiales, amicales et amoureuses à travers désirs, rires, regrets, rêves et cinéma.

WALK UP de Hang Sang soo, Corée du Sud, 2022, 1h37. Avec Hae-yo-Kwon, Lee Hyeyoung, Mi-so Park. Sélection officielle San Sebastian 2022.

Critique de Philippe Cabrol, SIGNIS France

Dans Walk Up, dixième film de Hong Sang soo tourné en noir et blanc, le réalisateur coréen nous offre un drame intimiste et impressionniste composé de quatre chapitres, espacés dans le temps. Le film se joue dans un seul décor. Une nouvelle fois le personnage principal est un réalisateur de films, certainement un double évident de Hong Sang soo, qui va être amené à rencontrer différentes femmes dans un immeuble de Séoul.

Byung soo, cinéaste célèbre qui se retrouve dans une impasse artistique, vient avec sa fille chez Madame Kim, une décoratrice d’intérieur, amie de longue date, qui aime « les gens qui ont du succès ». Or Byung soo remporte des prix en festivals internationaux de cinéma. C’est un homme qui parle d’investisseurs, de projets préparés. Sa fille aimerait apprendre auprès de Madame Kim propriétaire d’un immeuble à Gangnam, dans Séoul. La visite des lieux entraîne Byung soo dans un voyage hors du temps où se dessinent, à chaque étage, ses amours passés et à venir.  Avec Madame Kim et sa fille, il partage un repas et rencontre d’autres personnes qui vivent dans le bâtiment. Le même événement se répète plusieurs fois dans différentes variantes autour de conversations, presque toutes alcoolisées, qui donnent le ton et le rythme, entre banalité et saillies percutantes. Notons que nous voyons dans chaque segment la propriétaire de l’immeuble, qui petit à petit se transforme en propriétaire intrusive et abusive.

L’immeuble est très important dans Walk Up, Hong Sang soo découpe le bâtiment par niveaux et y fait dérouler les différentes séquences de son récit, ce procédé permettant l’architecture temporelle du film. Ainsi Hong Sang soo exprime son propos, joue avec les personnages, en leur faisant endosser différents rôles, d’étage en étage, pour raconter la vie de ce lieu, qui comprend un restaurant et un atelier de cuisine aux deux premiers étages, un bureau au sous-sol, une résidence au troisième étage, un atelier d’artiste, et une terrasse. Chaque ascension dans l’immeuble s’accompagne d’une avancée dans le temps. Le personnage principal va simplement passer d’une pièce à l’autre au fur et à mesure du déroulement du film. Chaque étage a droit à une séquence et met en scène une étape dans une relation. Dès les premières scènes nous retrouvons la tradition du réalisateur, à savoir des personnages rassemblés autour d’une table de restaurant, de l’alcool, et des conversations banales. On y parle ici de projets, notamment ceux de la fille du réalisateur.

Entre rires, gestes du quotidien et tables généreusement servies en alcool, Byung soo change de vie, abandonne le cinéma, se met en couple avec la restauratrice du premier étage, puis il emménage avec une locataire de l’immeuble. Au segment suivant, déménage une nouvelle fois et change encore de chemin affectif et professionnel. Le fil semble difficile à comprendre et il y a quelque chose de déroutant dans la manière de passer d’un récit à un autre.

À chaque nouveau film le réalisateur profite de sa grande liberté d’action pour saisir l’opportunité de creuser toujours en avant son amour de la mise en scène, ici la géographie particulière d’un immeuble, afin de raconter une histoire simple ou brille la façon de raconter.

Les conversations avec les autres habitants du lieu lui permettent de partager insécurité, rires, confidences et désaccords, avec toujours la même sensation d’authenticité inhérente au cinéma de Hong Sang soo. La précision des dialogues, la place accordée aux silences et le sens de l’écoute des personnages permettent des émotions dans des instants hors du temps.

Dans Walk up on se perd, on se retrouve, d’un étage à l’autre, et le jeu temporel se brouille, au rythme des verres de vin. En effet on boit beaucoup dans les films d’Hang Sang soo. La « scène » matricielle du cinéma du réalisateur coréen est la table autour de laquelle ne cessent de se jouer et rejouer chorégraphies sentimentales et soûlographies. Les scènes d’ivresse, parfois jouées par des acteurs véritablement en état d’ébriété, ont une fonction ambiguë. L’alcool est à la fois une manière pour les protagonistes d’échapper au réel en parvenant à un état proche de la stupeur mais c’est aussi une excuse pour dire à l’autre ce que l’on pense véritablement de lui.

Dans ce long-métrage, Hong Sang soo parle avant tout de lui, de son rapport au public, à la maladie, au cinéma. Là où ses précédents films étaient hantés par la mort, Walk Up regorge de vie et de possibilités. Byung soo se rêve habitant de ces lieux, vivant à chaque étage, dans la peau de personnes qu’il imagine amoureux, tristes, en proie à des soucis différents des siens. Les films de Hong Sang soo sont toujours bavards, mais avec un but, et des enjeux précis. Walk Up est certainement le récit qui se construit le plus dans une succession de dialogues, de descriptions de vérités intérieures, dans un dénuement qui fait penser à l’un des films préférés de Hong Sang soo, Ma Nuit chez Maud d’Eric Rohmer. 

Tout est net dans ce film : un noir et blanc traversé de nuances grises, avec des images poétiques et épurées, les lieux bien compartimentés en étages, l’action limitée et familière. Mais également tout est flou. Walk Up marque encore une radicalisation dans le style de Hong Sang soo. Il n’y a plus une seule once d’intrigue, chaque séquence est un plan séquence fixe et il n’y a plus les zooms caractéristiques sur les visages des personnages durant les longues conversations.

Walk Up raconte des choses simples et universelles. C’est un beau film, très mélancolique, davantage centré sur les personnages d’âge mûr appartenant tous à une sphère culturelle et sociale particulière, mais proche, vraisemblablement, de celle du cinéaste lui-même. À travers une mise en scène contemplative, Walk Up exprime tout en nuances les réflexions sur le cinéma et les frustrations personnelles de ses protagonistes troublants de sincérité.

Philippe Cabrol

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