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LA OU DIEU N’EST PAS de Mehran Tamadon – prix œcuménique Berlinale Forum 2023

Comment peut-on survivre à la torture ? Comment peut-on accepter de devenir bourreau ? Ces interrogations sont au centre du documentaire de Mehran Tamadon. Réalisateur d’origine iranienne, exilé en France depuis plus de 30 ans, il donne la parole à d’anciennes victimes passées par les prisons d’Iran et tente de comprendre ce qui est à l’œuvre dans tant d’inhumanité.

LA OU DIEU N’EST PAS de Mehran Tamadon. France/Suisse, 2022, 1h52. Documentaire. Prix œcuménique Berlinale 2023, section Forum.

Critique de Magali Van Reeth, SIGNIS France

La mise en scène est sobre, presque austère. Dans un hangar où la nudité des murs et le vide de l’espace peuvent évoquer des lieux d’incarcération, le réalisateur demande à Taghi Rahamani de lui décrire avec le plus de précisions possibles, sa cellule, ses interrogatoires et la manière dont il était torturé. D’une voix douce et presque monocorde, dans la langue perse si mélodieuse, cet homme raconte. Les sévices, la douleur, les séquelles toujours présentes dans son corps. On rit un instant quand il constate que les lits pliants français ne sont pas assez solides pour y attacher et torturer un homme.

Puis c’est le tour d’Homa Khalori, une femme qui ne voulait pas prier, obligée avec ses consœurs de vivre dans un cercueil pour casser son arrogance, pour la manipuler jusqu’à la contraindre, pour faire cesser la douleur, à devenir surveillante. Remettant avec des gestes précis ce tchador humiliant et dont la couleur seule évoque la tristesse et la mort, les larmes d’aujourd’hui sont encore vives au souvenir de cette époque terrible. Terrible aussi ses paroles lorsqu’elle tente de rassurer une autre détenue :  »Tu as de la chance, ton mari a été exécuté, moi le mien nous a trahi ».

Le troisième témoin est Mazyar Ebrahimi. Dans une cave d’immeuble parisien, il retrouve presque à l’identique, les proportions de la cellule où il a passé de si longs mois à l’isolement. Il retrouve, quasi automatiquement, les trois pas qui le séparaient d’un mur à l’autre et qu’il s’obligeait à faire tout au long de la journée pour trouver enfin l’épuisement et le sommeil à la nuit venue. Il parle de la routine à trouver pour tenir. Tenir à chaque instant, c’est le plus difficile.

Le réalisateur explique sa démarche : il espère que son film permettra aux bourreaux de prendre conscience de leurs actes. Les trois victimes n’y croient pas un seul instant. Ils pointent cet état islamique, qui se vante d’être le seul état religieux au monde mais lorsqu’un prisonnier, face à la douleur de la torture physique ou morale, implore la clémence au nom du divin, on lui répond :  »il n’y a pas de Dieu ici ». Face à la souffrance, à l’injustice, face aux actes atroces commis par des êtres humains sur leurs semblables, l’absence de Dieu se heurte aux murs lugubres des geôles à l’aveuglement des bourreaux.

Au commencement du film, un carton précise que le documentaire a été tourné et réalisé avant le début du mouvement Femme Vie Liberté, né en septembre 2022. Depuis, de nombreuses femmes ont subi ces mêmes tortures, prouvant l’actualité brûlante du film et de son titre Là où Dieu n’est pas. Mehran Tamadon peut-il être entendu et son film ébranler les bourreaux ?

A la Berlinale 2023 où le film était présenté dans la section Forum, il a reçu le prix du jury œcuménique avec la motivation suivante : Le réalisateur a trouvé une approche impressionnante. Il place ses personnages Homa Kalhori, Taghi Rahmani et Mazyar Ebrahimi dans un espace qui recrée leurs anciennes prisons, »là où Dieu n’est pas », comme le dit l’un des geôliers. C’est un film original qui offre un espace pour partager leurs terribles expériences, qui devient une dénonciation d’une réalité que l’Iran vit encore aujourd’hui ». 

Les membres du jury étaient : Paul De Silva (Canada), Arielle Domon (France), Kerstin Heinemann (Allemagne), Miriam Hollstein (Allemagne) en qualité de présidente, Anne Le Cor (France) et Alberto V. Ramos Ruiz (Cuba)

Magali Van Reeth

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